А propos de cette йdition йlectronique 1 страница

LE PETIT PRINCE

(1943)


Table des matiиres

 

PREMIER CHAPITRE.. 5

CHAPITRE II. 7

CHAPITRE III. 11

CHAPITRE IV.. 14

CHAPITRE V.. 17

CHAPITRE VI. 20

CHAPITRE VII. 22

CHAPITRE VIII. 26

CHAPITRE IX.. 29

CHAPITRE X.. 31

CHAPITRE XI. 37

CHAPITRE XII. 39

CHAPITRE XIII. 40

CHAPITRE XIV.. 43

CHAPITRE XV.. 47

CHAPITRE XVI. 52

CHAPITRE XVII. 53

CHAPITRE XVIII. 56

CHAPITRE XIX.. 57

CHAPITRE XX.. 58

CHAPITRE XXI. 60

CHAPITRE XXII. 66

CHAPITRE XXIII. 68

CHAPITRE XXIV.. 69

CHAPITRE XXV.. 72

CHAPITRE XXVI. 76

CHAPITRE XXVII. 84

А propos de cette йdition йlectronique. 86

 

А LЙON WERTH

 

Je demande pardon aux enfants d’avoir dйdiй ce livre а une grande personne. J’ai une excuse sйrieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. J’ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, mкme les livres pour enfants. J’ai une troisiиme excuse : cette grande personne habite la France oщ elle a faim et froid. Elle a bien besoin d’кtre consolйe. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dйdier ce livre а l’enfant qu’a йtй autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord йtй des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma dйdicace :

 

А LЙON WERTH

 

QUAND IL ЙTAIT PETIT GARЗON

PREMIER CHAPITRE

Lorsque j’avais six ans j’ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Forкt Vierge qui s’appelait « Histoires Vйcues ». Зa reprйsentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voilа la copie du dessin.

 

On disait dans le livre : « Les serpents boas avalent leur proie tout entiиre, sans la mвcher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion ».

 

J’ai alors beaucoup rйflйchi sur les aventures de la jungle et, а mon tour, j’ai rйussi, avec un crayon de couleur, а tracer mon premier dessin. Mon dessin numйro 1. Il йtait comme зa :

 

J’ai montrй mon chef d’њuvre aux grandes personnes et je leur ai demandй si mon dessin leur faisait peur.

 

Elles m’ont rйpondu :

 

– Pourquoi un chapeau ferait-il peur ?

 

Mon dessin ne reprйsentait pas un chapeau. Il reprйsentait un serpent boa qui digйrait un йlйphant. J’ai alors dessinй l’intйrieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin d’explications. Mon dessin numйro 2 йtait comme зa :

 

Les grandes personnes m’ont conseillй de laisser de cфtй les dessins de serpents boas ouverts ou fermйs, et de m’intйresser plutфt а la gйographie, а l’histoire, au calcul et а la grammaire. C’est ainsi que j’ai abandonnй, а l’вge de six ans, une magnifique carriиre de peintre. J’avais йtй dйcouragй par l’insuccиs de mon dessin numйro 1 et de mon dessin numйro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications.

 

J’ai donc dы choisir un autre mйtier et j’ai appris а piloter des avions. J’ai volй un peu partout dans le monde. Et la gйographie, c’est exact, m’a beaucoup servi. Je savais reconnaоtre, du premier coup d’њil, la Chine de l’Arizona. C’est trиs utile, si l’on est йgarй pendant la nuit.

 

J’ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sйrieux. J’ai beaucoup vйcu chez les grandes personnes. Je les ai vues de trиs prиs. Зa n’a pas trop amйliorй mon opinion.

 

Quand j’en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l’expйrience sur elle de mon dessin n° 1 que j’ai toujours conservй. Je voulais savoir si elle йtait vraiment comprйhensive. Mais toujours elle me rйpondait :

 

– C’est un chapeau.

 

Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forкts vierges, ni d’йtoiles. Je me mettais а sa portйe. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne йtait bien contente de connaоtre un homme aussi raisonnable.

CHAPITRE II

J’ai ainsi vйcu seul, sans personne avec qui parler vйritablement, jusqu’а une panne dans le dйsert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s’йtait cassй dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mйcanicien, ni passagers, je me prйparai а essayer de rйussir, tout seul, une rйparation difficile. C’йtait pour moi une question de vie ou de mort. J’avais а peine de l’eau а boire pour huit jours.

 

Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable а mille milles de toute terre habitйe. J’йtais bien plus isolй qu’un naufragй sur un radeau au milieu de l’ocйan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drфle de petite voix m’a rйveillй. Elle disait :

 

– S’il vous plaоt… dessine-moi un mouton !

 

– Hein !

 

– Dessine-moi un mouton…

 

J’ai sautй sur mes pieds comme si j’avais йtй frappй par la foudre. J’ai bien frottй mes yeux. J’ai bien regardй. Et j’ai vu un petit bonhomme tout а fait extraordinaire qui me considйrait gravement. Voilа le meilleur portrait que, plus tard, j’ai rйussi а faire de lui. Mais mon dessin, bien sыr, est beaucoup moins ravissant que le modиle. Ce n’est pas ma faute. J’avais йtй dйcouragй dans ma carriиre de peintre par les grandes personnes, а l’вge de six ans, et je n’avais rien appris а dessiner, sauf les boas fermйs et les boas ouverts.

 

Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds d’йtonnement. N’oubliez pas que je me trouvais а mille milles de toute rйgion habitйe. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni йgarй, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n’avait en rien l’apparence d’un enfant perdu au milieu du dйsert, а mille milles de toute rйgion habitйe. Quand je rйussis enfin а parler, je lui dis :

 

– Mais… qu’est-ce que tu fais lа ?

 

Et il me rйpйta alors, tout doucement, comme une chose trиs sйrieuse :

 

– S’il vous plaоt… dessine-moi un mouton…

 

Quand le mystиre est trop impressionnant, on n’ose pas dйsobйir. Aussi absurde que cela me semblвt а mille milles de tous les endroits habitйs et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j’avais surtout йtudiй la gйographie, l’histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me rйpondit :

 

– Зa ne fait rien. Dessine-moi un mouton.

 

Comme je n’avais jamais dessinй un mouton je refis, pour lui, l’un des deux seuls dessins dont j’йtais capable. Celui du boa fermй. Et je fus stupйfait d’entendre le petit bonhomme me rйpondre :

 

– Non ! Non ! Je ne veux pas d’un йlйphant dans un boa. Un boa c’est trиs dangereux, et un йlйphant c’est trиs encombrant. Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton.

 

Alors j’ai dessinй.

 

Il regarda attentivement, puis :

 

– Non ! Celui-lа est dйjа trиs malade. Fais-en un autre.

 

Je dessinai :

 

Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :

 

– Tu vois bien… ce n’est pas un mouton, c’est un bйlier. Il a des cornes…

 

Je refis donc encore mon dessin :

 

Mais il fut refusй, comme les prйcйdents :

 

– Celui-lа est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps.

 

Alors, faute de patience, comme j’avais hвte de commencer le dйmontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci.

 

Et je lanзai :

 

– Зa c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.

 

Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge :

 

– C’est tout а fait comme зa que je le voulais ! Crois-tu qu’il faille beaucoup d’herbe а ce mouton ?

 

– Pourquoi ?

 

– Parce que chez moi c’est tout petit…

 

– Зa suffira sыrement. Je t’ai donnй un tout petit mouton.

 

Il pencha la tкte vers le dessin :

 

– Pas si petit que зa… Tiens ! Il s’est endormi…

 

Et c’est ainsi que je fis la connaissance du petit prince.

CHAPITRE III

Il me fallut longtemps pour comprendre d’oщ il venait. Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononcйs par hasard qui, peu а peu, m’ont tout rйvйlй. Ainsi, quand il aperзut pour la premiиre fois mon avion (je ne dessinerai pas mon avion, c’est un dessin beaucoup trop compliquй pour moi) il me demanda :

 

– Qu’est ce que c’est que cette chose-lа ?

 

– Ce n’est pas une chose. Зa vole. C’est un avion. C’est mon avion.

 

Et j’йtais fier de lui apprendre que je volais. Alors il s’йcria :

 

– Comment ! tu es tombй du ciel !

 

– Oui, fis-je modestement.

 

– Ah ! зa c’est drфle…

 

Et le petit prince eut un trиs joli йclat de rire qui m’irrita beaucoup. Je dйsire que l’on prenne mes malheurs au sйrieux. Puis il ajouta :

 

– Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle planиte es-tu ?

 

J’entrevis aussitфt une lueur, dans le mystиre de sa prйsence, et j’interrogeai brusquement :

 

– Tu viens donc d’une autre planиte ?

 

Mais il ne me rйpondit pas. Il hochait la tкte doucement tout en regardant mon avion :

 

– C’est vrai que, lа-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin…

 

Et il s’enfonзa dans une rкverie qui dura longtemps. Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trйsor.

 

Vous imaginez combien j’avais pu кtre intriguй par cette demi-confidence sur « les autres planиtes ». Je m’efforзai donc d’en savoir plus long :

 

– D’oщ viens-tu mon petit bonhomme ? Oщ est-ce « chez toi » ? Oщ veux-tu emporter mon mouton ?

 

Il me rйpondit aprиs un silence mйditatif :

 

– Ce qui est bien, avec la caisse que tu m’as donnйe, c’est que, la nuit, зa lui servira de maison.

 

– Bien sыr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde pour l’attacher pendant le jour. Et un piquet.

 

La proposition parut choquer le petit prince :

 

– L’attacher ? Quelle drфle d’idйe !

 

– Mais si tu ne l’attaches pas, il ira n’importe oщ, et il se perdra…

 

Et mon ami eut un nouvel йclat de rire :

 

– Mais oщ veux-tu qu’il aille !

 

– N’importe oщ. Droit devant lui…

 

Alors le petit prince remarqua gravement :

 

– Зa ne fait rien, c’est tellement petit, chez moi !

 

Et, avec un peu de mйlancolie, peut-кtre, il ajouta :

 

– Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin…

CHAPITRE IV

J’avais ainsi appris une seconde chose trиs importante : C’est que sa planиte d’origine йtait а peine plus grande qu’une maison !

 

Зa ne pouvait pas m’йtonner beaucoup. Je savais bien qu’en dehors des grosses planиtes comme la Terre, Jupiter, Mars, Vйnus, auxquelles on a donnй des noms, il y en a des centaines d’autres qui sont quelquefois si petites qu’on a beaucoup de mal а les apercevoir au tйlescope. Quand un astronome dйcouvre l’une d’elles, il lui donne pour nom un numйro. Il l’appelle par exemple : « l’astйroпde 3251. »

 

J’ai de sйrieuses raisons de croire que la planиte d’oщ venait le petit prince est l’astйroпde B 612. Cet astйroпde n’a йtй aperзu qu’une fois au tйlescope, en 1909, par un astronome turc.

 

Il avait fait alors une grande dйmonstration de sa dйcouverte а un Congrиs International d’Astronomie. Mais personne ne l’avait cru а cause de son costume. Les grandes personnes sont comme зa.

 

Heureusement pour la rйputation de l’astйroпde B 612 un dictateur turc imposa а son peuple, sous peine de mort, de s’habiller а l’Europйenne. L’astronome refit sa dйmonstration en 1920, dans un habit trиs йlйgant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.

 

Si je vous ai racontй ces dйtails sur l’astйroпde B 612 et si je vous ai confiй son numйro, c’est а cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il prйfиre ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel вge a-t-il ? Combien a-t-il de frиres ? Combien pиse-t-il ? Combien gagne son pиre ? » Alors seulement elles croient le connaоtre. Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des gйraniums aux fenкtres et des colombes sur le toit… » elles ne parviennent pas а s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J’ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s’йcrient : « Comme c’est joli ! »

 

Ainsi, si vous leur dites : « La preuve que le petit prince a existй c’est qu’il йtait ravissant, qu’il riait, et qu’il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c’est la preuve qu’on existe » elles hausseront les йpaules et vous traiteront d’enfant ! Mais si vous leur dites : « La planиte d’oщ il venait est l’astйroпde B 612 » alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme зa. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent кtre trиs indulgents envers les grandes personnes.

 

Mais, bien sыr, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numйros ! J’aurais aimй commencer cette histoire а la faзon des contes de fйes. J’aurais aimй dire :

 

« Il йtait une fois un petit prince qui habitait une planиte а peine plus grande que lui, et qui avait besoin d’un ami… » Pour ceux qui comprennent la vie, зa aurait eu l’air beaucoup plus vrai.

 

Car je n’aime pas qu’on lise mon livre а la lйgиre. J’йprouve tant de chagrin а raconter ces souvenirs. Il y a six ans dйjа que mon ami s’en est allй avec son mouton. Si j’essaie ici de le dйcrire, c’est afin de ne pas l’oublier. C’est triste d’oublier un ami. Tout le monde n’a pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui ne s’intйressent plus qu’aux chiffres. C’est donc pour зa encore que j’ai achetй une boоte de couleurs et des crayons. C’est dur de se remettre au dessin, а mon вge, quand on n’a jamais fait d’autres tentatives que celle d’un boa fermй et celle d’un boa ouvert, а l’вge de six ans ! J’essaierai, bien sыr, de faire des portraits le plus ressemblants possible. Mais je ne suis pas tout а fait certain de rйussir. Un dessin va, et l’autre ne ressemble plus. Je me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince est trop grand. Lа il est trop petit. J’hйsite aussi sur la couleur de son costume. Alors je tвtonne comme ci et comme зa, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur certains dйtails plus importants. Mais зa, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais d’explications. Il me croyait peut-кtre semblable а lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons а travers les caisses. Je suis peut-кtre un peu comme les grandes personnes. J’ai dы vieillir.

CHAPITRE V

Chaque jour j’apprenais quelque chose sur la planиte, sur le dйpart, sur le voyage. Зa venait tout doucement, au hasard des rйflexions. C’est ainsi que, le troisiиme jour, je connus le drame des baobabs.

 

Cette fois-ci encore ce fut grвce au mouton, car brusquement le petit prince m’interrogea, comme pris d’un doute grave :

 

– C’est bien vrai, n’est-ce pas, que les moutons mangent les arbustes ?

 

– Oui. C’est vrai.

 

– Ah ! Je suis content.

 

Je ne compris pas pourquoi il йtait si important que les moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta :

 

– Par consйquent ils mangent aussi les baobabs ?

 

Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des йglises et que, si mкme il emportait avec lui tout un troupeau d’йlйphants, ce troupeau ne viendrait pas а bout d’un seul baobab.

 

L’idйe du troupeau d’йlйphants fit rire le petit prince :

 

– Il faudrait les mettre les uns sur les autres…

 

Mais il remarqua avec sagesse :

 

– Les baobabs, avant de grandir, зa commence par кtre petit.

 

– C’est exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent les petits baobabs ?

 

Il me rйpondit : « Ben ! Voyons ! » comme s’il s’agissait lа d’une йvidence. Et il me fallut un grand effort d’intelligence pour comprendre а moi seul ce problиme.

 

Et en effet, sur la planиte du petit prince, il y avait comme sur toutes les planиtes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par consйquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu’а ce qu’il prenne fantaisie а l’une d’elles de se rйveiller. Alors elle s’йtire, et pousse d’abord timidement vers le soleil une ravissante petite brindille inoffensive. S’il s’agit d’une brindille de radis ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais s’il s’agit d’une mauvaise plante, il faut arracher la plante aussitфt, dиs qu’on a su la reconnaоtre. Or il y avait des graines terribles sur la planиte du petit prince… c’йtaient les graines de baobabs. Le sol de la planиte en йtait infestй. Or un baobab, si l’on s’y prend trop tard, on ne peut jamais plus s’en dйbarrasser. Il encombre toute la planиte. Il la perfore de ses racines. Et si la planиte est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font йclater.

 

– C’est une question de discipline, me disait plus tard le petit prince. Quand on a terminй sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planиte. Il faut s’astreindre rйguliиrement а arracher les baobabs dиs qu’on les distingue d’avec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont trиs jeunes. C’est un travail trиs ennuyeux, mais trиs facile.

 

Et un jour il me conseilla de m’appliquer а rйussir un beau dessin, pour bien faire entrer зa dans la tкte des enfants de chez moi.

 

– S’ils voyagent un jour, me disait-il, зa pourra leur servir. Il est quelquefois sans inconvйnient de remettre а plus tard son travail. Mais, s’il s’agit des baobabs, c’est toujours une catastrophe. J’ai connu une planиte, habitйe par un paresseux. Il avait nйgligй trois arbustes…

 

Et, sur les indications du petit prince, j’ai dessinй cette planиte-lа. Je n’aime guиre prendre le ton d’un moraliste. Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui s’йgarerait dans un astйroпde sont si considйrables, que, pour une fois, je fais exception а ma rйserve. Je dis : « Enfants ! Faites attention aux baobabs ! » C’est pour avertir mes amis d’un danger qu’ils frфlaient depuis longtemps, comme moi-mкme, sans le connaоtre, que j’ai tant travaillй ce dessin-lа. La leзon que je donnais en valait la peine. Vous vous demanderez peut-кtre : Pourquoi n’y a-t-il pas, dans ce livre, d’autres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs ? La rйponse est bien simple : J’ai essayй mais je n’ai pas pu rйussir. Quand j’ai dessinй les baobabs j’ai йtй animй par le sentiment de l’urgence.

CHAPITRE VI

Ah ! petit prince, j’ai compris, peu а peu, ainsi, ta petite vie mйlancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J’ai appris ce dйtail nouveau, le quatriиme jour au matin, quand tu m’as dit :

 

– J’aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil…

 

– Mais il faut attendre…

 

– Attendre quoi ?

 

– Attendre que le soleil se couche.

 

Tu as eu l’air trиs surpris d’abord, et puis tu as ri de toi-mкme. Et tu m’as dit :

 

– Je me crois toujours chez moi !

 

En effet. Quand il est midi aux Йtats-Unis, le soleil, tout le monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher de soleil. Malheureusement la France est bien trop йloignйe. Mais, sur ta si petite planиte, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crйpuscule chaque fois que tu le dйsirais…

 

– Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois !

 

Et un peu plus tard tu ajoutais :

 

– Tu sais… quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil…

 

– Le jour des quarante-trois fois tu йtais donc tellement triste ?

 

Mais le petit prince ne rйpondit pas.

CHAPITRE VII

Le cinquiиme jour, toujours grвce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut rйvйlй. Il me demanda avec brusquerie, sans prйambule, comme le fruit d’un problиme longtemps mйditй en silence :

 

– Un mouton, s’il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs ?

 

– Un mouton mange tout ce qu’il rencontre.

 

– Mкme les fleurs qui ont des йpines ?

 

– Oui. Mкme les fleurs qui ont des йpines.

 

– Alors les йpines, а quoi servent-elles ?

 

Je ne le savais pas. J’йtais alors trиs occupй а essayer de dйvisser un boulon trop serrй de mon moteur. J’йtais trиs soucieux car ma panne commenзait de m’apparaоtre comme trиs grave, et l’eau а boire qui s’йpuisait me faisait craindre le pire.

 

– Les йpines, а quoi servent-elles ?

 

Le petit prince ne renonзait jamais а une question, une fois qu’il l’avait posйe. J’йtais irritй par mon boulon et je rйpondis n’importe quoi :

 

– Les йpines, зa ne sert а rien, c’est de la pure mйchancetй de la part des fleurs !

 

– Oh !

 

Mais aprиs un silence il me lanзa, avec une sorte de rancune :

 

– Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naпves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs йpines…

 

Je ne rйpondis rien. А cet instant-lа je me disais : « Si ce boulon rйsiste encore, je le ferai sauter d’un coup de marteau. » Le petit prince dйrangea de nouveau mes rйflexions :

 

– Et tu crois, toi, que les fleurs…

 

– Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! J’ai rйpondu n’importe quoi. Je m’occupe, moi, de choses sйrieuses !

 

Il me regarda stupйfiait.

 

– De choses sйrieuses !

 

Il me voyait, mon marteau а la main, et les doigts noirs de cambouis, penchй sur un objet qui lui semblait trиs laid.

 

– Tu parles comme les grandes personnes !

 

Зa me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta :

 

– Tu confonds tout… tu mйlanges tout !

 

Il йtait vraiment trиs irritй. Il secouait au vent des cheveux tout dorйs :

 

– Je connais une planиte oщ il y a un Monsieur cramoisi. Il n’a jamais respirй une fleur. Il n’a jamais regardй une йtoile. Il n’a jamais aimй personne. Il n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journйe il rйpиte comme toi : « Je suis un homme sйrieux ! Je suis un homme sйrieux ! » et зa le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon !

 

– Un quoi ?

 

– Un champignon !

 

Le petit prince йtait maintenant tout pвle de colиre.

 

– Il y a des millions d’annйes que les fleurs fabriquent des йpines. Il y a des millions d’annйes que les moutons mangent quand mкme les fleurs. Et ce n’est pas sйrieux de chercher а comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des йpines qui ne servent jamais а rien ? Ce n’est pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce n’est pas plus sйrieux et plus important que les additions d’un gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n’existe nulle part, sauf dans ma planиte, et qu’un petit mouton peut anйantir d’un seul coup, comme зa, un matin, sans se rendre compte de ce qu’il fait, ce n’est pas important зa !

 

Il rougit, puis reprit :

 

– Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’а un exemplaire dans les millions et les millions d’йtoiles, зa suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : « Ma fleur est lа quelque part… » Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les йtoiles s’йteignaient ! Et ce n’est pas important зa !

 

Il ne put rien dire de plus. Il йclata brusquement en sanglots. La nuit йtait tombйe. J’avais lвchй mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait, sur une йtoile, une planиte, la mienne, la Terre, un petit prince а consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berзai. Je lui disais :

 

– La fleur que tu aimes n’est pas en danger… Je lui dessinerai une museliиre, а ton mouton… Je te dessinerai une armure pour ta fleur… Je…

 

Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais trиs maladroit. Je ne savais comment l’atteindre, oщ le rejoindre… C’est tellement mystйrieux, le pays des larmes.

CHAPITRE VIII

J’appris bien vite а mieux connaоtre cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la planиte du petit prince, des fleurs trиs simples, ornйes d’un seul rang de pйtales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne dйrangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans l’herbe, et puis elles s’йteignaient le soir. Mais celle-lа avait germй un jour, d’une graine apportйe d’on ne sait oщ, et le petit prince avait surveillй de trиs prиs cette brindille qui ne ressem­blait pas aux autres brindilles. Зa pouvait кtre un nouveau genre de baobab. Mais l’arbuste cessa vite de croоtre, et commenзa de prйparer une fleur. Le petit prince, qui assistait а l’installation d’un bouton йnorme, sentait bien qu’il en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n’en finissait pas de se prйparer а кtre belle, а l’abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s’habillait lentement, elle ajustait un а un ses pйtales. Elle ne voulait pas sortir toute fripйe comme les coqueli­cots. Elle ne voulait apparaоtre que dans le plein rayonnement de sa beautй. Eh ! oui. Elle йtait trиs coquette ! Sa toilette mystйrieu­se avait donc durй des jours et des jours. Et puis voici qu’un matin, justement а l’heure du lever du soleil, elle s’йtait montrйe.

 

Et elle, qui avait travaillй avec tant de prйcision, dit en bвillant :

 

– Ah ! Je me rйveille а peine… Je vous demande pardon… Je suis encore toute dйcoiffйe…

 

Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration :

 

– Que vous кtes belle !

 

– N’est-ce pas, rйpondit doucement la fleur. Et je suis nйe en mкme temps que le soleil…

 

Le petit prince devina bien qu’elle n’йtait pas trop modeste, mais elle йtait si йmouvante !

 

– C’est l’heure, je crois, du petit dйjeuner, avait-elle bientфt ajoutй, auriez-vous la bontй de penser а moi…

 

Et le petit prince, tout confus, ayant йtй chercher un arrosoir d’eau fraоche, avait servi la fleur.

 

Ainsi l’avait-elle bien vite tourmentй par sa vanitй un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre йpines, elle avait dit au petit prince :

 

– Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !

 

– Il n’y a pas de tigres sur ma planиte, avait objectй le petit prince, et puis les tigres ne mangent pas l’herbe.

 

– Je ne suis pas une herbe, avait doucement rйpondu la fleur.