LA FAMILLE DE DANIELLE CASANOVA.

Danielle Casanova est née le 9 janvier 1909 à Ajaccio , en Corse, dans cette île sauvage et fière qui, toujours, à travers son histoire, a lutté pour l'indépendance et pour la liberté, le pays où est né le mot même de «maquis».

Danielle ne s'appelait pas alors Danielle, mais Vincentella, Vincentella Perini, et de ce joli nom corse, les enfants dans la famille ont fait un diminutif plus doux encore: Lella.

Les Perini étaient une vieille famille corse, attachée aux nobles traditions de l'île natale. Le grand-père de la petite Lella, fils de paysan, avait été juge de paix. C'était un républicain et un ardent patriote. Il avait vécu la guerre de 70 et les enfants écoutaient avec admiration ses merveilleuses histoires d'exploits héroïques.

Mais la grand-mère de Danielle a joué un plus grand rôle encore dans la vie de la petite fille. Lella adorait sa grand-mère, une vieille paysanne toujours vêtue de noir, travailleuse et volontaire. Dans la famille tout le monde parlait français, mais la grand-mère qui aimait passionnément sa petite patrie, n'a jamais voulu parler que le corse. C'est pour cela que Danielle aussi savait si bien le corse, ce beau dialecte musical.

Jusqu'à la fin de sa vie, la grand-mère, malgré les protestations de sa famille, faisait les plus durs travaux. Elle cultivait elle-même son potager. En automne, elle portait sur ses épaules les sacs de pommes de terre et les descendait à la cave pour les provisions d'hiver. Elle ne pouvait vivre sans travailler, un jour de repos lui semblait un jour perdu. Vivre pour elle, comme pour Danielle plus tard, c'était être utile, c'était servir.

Cette passion pour le dur travail, la vieille paysanne la faisait partager à toute la famille et jusqu'aux plus petits. Au temps des vacances, quand les enfants n'avaient en tête que promenades et jeux, c'était bien ennuyeux de devoir aider grand-mère aux travaux domestiques. Mais finalement, il fallait faire ce que voulait la grand-mère.

Il faut dire que de tous ses petits-enfants c'était Danielle la préférée de la grand-mère, et aussi du papa et de la maman, et même des surs. Elle était la préférée, mais non la gâtée. On ne gâte pas les enfants en Corse, c'est un pays pauvre et rude, et on y a trop le sentiment de la justice.

Les parents de Danielle étaient tous deux instituteurs. La maman de Danielle, qui avait cinq enfants, quatre filles et un garçon, enseignait à l'école maternelle. M. Perini, lui, était directeur d'école, et il faisait en même temps la classe.

Mme Perini était typiquement corse. C'était une femme d'un grand caractère, d'un cur excellent et d'un grand esprit critique. Elle était très réservée, silencieuse et d'un aspect imposant. Le père de Danielle, au contraire, était très gai, d'un caractère ouvert, c'était un homme très sociable et qui savait gagner les curs.

Danielle ressemblait à la fois à cette maman si forte et à ce sympathique papa.

 

CHRISTOPHE GAGNE SA VIE.

Trois années ont passé. Christophe va avoir onze ans. Il continue son éducation musicale, il apprend à jouer de tous les instruments. Il joue déjà bien du violon; et son père a demandé de lui donner une place à l'orchestre. Il y tient si bien sa partie , qu'après quelques mois de stage il est nommé officiellement second violon. Ainsi, il commence à gagner sa vie; et ce n'est pas trop tôt, car les affaires se gâtent de plus en plus à la maison. Christophe se rend compte de la situation; il a l'air sérieux d'un petit homme.

Le grand-duc n'oubliait pas son pianiste. De temps en temps, Christophe recevait l'ordre de se rendre au château, quand il y avait des invités de marque, ou bien quand il prenait fantaisie à Leurs Altesses de l'entendre. C'était presque toujours le soir. Il fallait tout laisser et venir très vite. Parfois, on le faisait attendre dans une antichambre, parce que le dîner n'était pas fini. Les domestiques, habitués à le voir, lui parlaient familièrement. Puis, on l'introduisait au salon, plein de glaces et de lumières, où les invités le regardaient avec curiosité. Il devait traverser la pièce, pour aller baiser la main de Leurs Altesses; et plus il grandissait, plus il devenait gauche: car il se trouvait ridicule, et son orgueil souffrait.

Ensuite, il se mettait au piano, il devait jouer pour ces indifférents qui lui faisaient des compliments quand il avait fini. Il pensait qu'on le regardait comme un animal curieux. Il se croyait offensé, il voyait une offense dans les façons d'agir les plus simples: si l'on riait dans un coin du salon, il se disait que c'était de lui; et il ne savait pas si c'était de ses manières, ou de son costume, ou de sa figure, de ses pieds, de ses mains. Tout l'humiliait: il était humilié si on ne lui parlait pas, humilié si on lui parlait, humilié si on lui donnait des bonbons comme à un enfant, humilié surtout si le grand-duc le renvoyait en lui mettant une pièce d'or dans la main. Il était malheureux d'être pauvre, d'être traité en pauvre.

Ses parents ne savaient rien de ces souffrances d'orgueil. Ils étaient ravis de sa faveur auprès du prince. La bonne Louisa ne pouvait rien imaginer de plus beau pour son garçon que les soirées au château, dans une société magnifique. Pour Melchior, c'était un sujet de conversations continuelles avec des amis. Mais le plus heureux était grand-père. Il attendait le retour de son petit-flls avec une impatience d'enfant. Mais Christophe, irrité, ne répondait que par oui ou par non aux questions du vieux et des parents. Ainsi il gâtait toute la joie de ces pauvres gens, qui ne comprenaient rien à sa mauvaise humeur.