Exercices pour le travail individuel des étudiants

1. Observez tous les détails de l’image qui pourraient inscrire la scène dans le régistre pathétique.

2. En vous appuyant sur l’image, rédigez un court récit qui, par l’amplification de certains détails, s’inscrira dans le régistre pathétique.

 

 

 

André Maurois (1885-1967)

Il est considéré comme un des maîtres de la biographie littéraire. André Maurois fut le pseudonyme littéraire d’Emile Herzog avant de devenir son nom légal. Né dans une famille d’industriels alzaciens français qui s’étaient installés en France après 1871 en raison de l’occupation allemande en Alsace-Lorraine, André Maurois dirigea les usines textiles de son père jusqu’à ses premières réussites littéraires, qui datent d’après la guerre de 1914-1918 (pendant ce conflit, il fut officier-interprète auprès de l’armée anglaise). Son observation du caractère et de l’humour britanniques servit de matière à ses premières oeuvres : les Silences du colonel Bramble (1918) et les Discours du docteur O’Grady (1922), deux textes pleins d’esprit qui eurent beaucoup de succès. Sous la nette influence d’Alain qui avait été son professeur de philosophie au lycée de Rouen, il écrivit plusieurs romans psychologiques et moralistes : Ni ange ni bête (1919), Bernard Quesnay (1922). Vint ensuite Climats (1928) qui est considéré comme le chef-d’oeuvre de Maurois. Après ce roman, Maurois revint à une construction classique avec Le Cercle de famille (1932), L’instinct du bonheur (1934) et Les roses de septembre (1956).

Reçu à l’Académie française en 1938, Maurois délaissa le roman pour les études historiques et la biographie littéraire, domaines où il excella ; ses analyses sont subtiles, et certains de ses oeuvres font autorité : Olympio ou la vie de Victor Hugo (1954) ou bien Prométhée ou la vie de Balzac (1956). Ses premières biographies sont encore très proches du roman et sont consacrées à des écrivains : Ariel ou la vie de Shelley (1923), Byron (1930), Tourgueniev (1931). Il s’intéressa aussi aux personnages historiques, comma dans La vie de Disraëli (1927).

Exilé aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il prit parti de Pétain, malgré ses origines juives. André Maurois mourut en 1967, âgé de 82 ans.

 

La foire de Neuilly

- Bonnivet avait cinq ou six ans de plus que moi, dit Maufras, et sa carrière avait été si brillante, si rapide, que je l’avais toujours considéré plutôt comme un patron que comme un ami. Je lui devais beaucoup de reconnaissance. C’était lui qui m’avait appelé à son cabinet au moment où il était devenu Ministre des Travaux Publics, lui encore qui, lorsque le ministère était tombé, m’avait admirablement « casé » dans l’administration préfectorale.

« Quand il revint au pouvoir, il prit les Colonies ; j’avais alors à Paris un poste agréable et lui demandai de m’y laisser. Nos relations demeuraient affectueuses et nos deux ménages prenaient souvent leurs repas ensemble, chez l’un ou chez l’autre. Nelly Bonnivet était une femme de quarante ans environ, encore jolie, adorée par son mari et parfaite épouse de ministre. J’étais marié depuis deux ans et vous savez combien Madeleine et moi avons toujours été heureux.

« Au début de juin, les Bonnivet nous invitèrent à dîner dans un des restaurants du Bois. Nous étions six ; la soirée fut gaie ; vers minuit, nous n’avions nulle envie de nous séparer. Bonnivet, qui était d’humeur exquise, proposa d’aller à la Foire de Neuilly. Il aime, quand il est au pouvoir, à jouer au sultan Haroun-al-Raschid et à entendre, sur son passage, la foule murmurer : « Tiens, c’est Bonnivet ! »

« Trois couples mûrissants qui essaient en vain de trouver à des jeux puérils la saveur de l’enfance, donnent un spectacle assez mélancolique. Nous gagnâmes, en diverses loteries, des macarons, des bateaux de verre filé et des animaux de pain d’épice ; les trois hommes abattirent des pipes tournantes et des coquilles d’oeuf que soulevait un jet d’eau languissant. Puis nous arrivâmes devant un chemin de fer circulaire que recouvrait... une bâche formant tunnel. Nelly Bonnivet proposa d’y monter... et nous prîmes des tickets. Dans la tumulte du départ, notre groupe fut coupé en deux tronçons. Je me trouvai seul dans un compartiment avec Nelly Bonnivet.

« Ce petit train tournait vite et les courbes en avaient été dessinées de façon à projeter les uns sur les autres les occupants des voitures. Mme Bonnivet, au premier tournant, faillit tomber dans mes bras. A ce moment la bâche nous plongea dans l’obscurité et je serais tout à fait incapable de vous expliquer ce qui se passa pendant quelques secondes qui suivirent. Nos corps agissent quelquefois sans contrôle de la conscience. Toujours est-il que je sentis Nelly à demi étendue sur mes genoux et que je la caressai comme un soldat de vingt ans caresse la fille qu’il a emmené à la foire du village. Je cherchai ses lèvres, toujours sans savoir ce que je faisais et au moment où, sans rencontrer de résistance, je les atteignais, la lumière revint. D’un commun accord nous nous écartâmes l’un de l’autre avec une extrême brusquerie et nous nous regardâmes, éblouis, stupéfaits.

« Je me souviens d’avoir essayé alors de comprendre ce qu’exprimait le visage de Nelly Bonnivet. Elle remettait ses cheveux en ordre, me regardait gravement et ne disait pas un mot. Ce moment de gêne fut très bref. Déjà le train freinait et un instant plus tard nous retrouvions, sur la plate-forme circulaire, Bonnivet, Madeleine et les deux autres.

« - Ceci est vraiment un peu trop jeune pour nous, dit Bonnivet avec ennui ; je crois qu’il est temps d’aller se coucher.

[...] « Je ne pus dormir. Cette aventure inattendue troublait l’équilibre, si parfaitement stable, de ma vie. Je n’avais jamais été un coureur de femmes et moins que jamais depuis mon mariage. J’aimais Madeleine de tout mon coeur et il existait entre nous une confiance tendre et sans réserve. Pour Bonnivet j’avais de l’affection et une sincère gratitude. Le diable était que malgré tout je brûlais d’envie de revoir Nelly et de savoir ce que signifiait son regard après l’abandon. Surprise ? Rancune ? Vous savez quelle fatuité se cache au coeur des hommes les plus modestes. J’imaginais une longue passion silencieuse se déclarant soudain à la faveur d’un hasard.

[...] « Le lendemain matin, je fus très occupé et n’eus guère le loisir de penser à ce surprenant épisode. Le jour suivant, je fus appelé au téléphone :

« - On vous demande du Ministère des Colonies, dit une voix... Restez à l’appareil, le Ministre veut vous parler... Ne quittez pas.

« Un frisson traversa mes reins. Jamais Bonnivet ne téléphonait lui-même. Invitations et réponses étaient transmises par nos deux femmes. Il ne pouvait s’agir que de cette stupide aventure.

« - Allô ! dit soudain la voix de Bonnivet... Ah ! c’est vous, Maufras ?.. Pourriez-vous venir jusqu’à mon bureau ?.. Oui, c’est urgent... Je vous expliquerai de vive voix... Alors à tout de suite ! Merci.

[...] « Tout en cherchant un taxi pour me rendre chez Bonnivet, je me demandai ce qui allait arriver. Un duel ? [...] Non, Bonnivet allait sans doute m’accabler de reproches et me signifier que nos relations étaient terminées. C’était la fin de l’amitié précieuse et sans doute aussi la fin de ma carrière, car Bonnivet était puissant. [...] J’en arrivais à comprendre que le suicide fût considéré comme une évasion par tous les malheureux qui se sont placés dans une situation trop difficile pour leur courage.

« J’attendis quelque temps dans une antichambre peuplée de solliciteurs et d’huissiers. Mon coeur battait irrégulièrement. [...] Enfin l’huissier appela mon nom et je me levai. La porte du bureau de Bonnivet était devant moi. Fallait-il le laisser parler ? Ou au contraire prévenir la scène par une confession totale ?

« Ce fut lui qui se leva et me serra les mains. Je fus frappé par cette bienveillance de son accueil.

« - Avant tout, dit-il, je m’excuse de vous avoir ainsi convoqué d’urgence, mais vous allez voir qu’il fallait prendre une décision immédiate. Voici... Vous savez que nous devons, Nelly et moi, faire le mois prochain un grand voyage en Afrique occidentale... Voyage d’inspection pour moi ; voyage de tourisme et de découverte pour elle... J’ai décidé d’emmener non seulement des fonctionnaires du ministère, mais aussi quelques journalistes, car il est nécessaire que les Français apprennent à connaître leur Empire... Je n’avais pas pensé, jusqu’ici, à vous parler de ce projet parce que vous n’êtes ni un colonial, ni un journaliste, et que d’autre part vous avez votre poste, mais Nelly m’a fait remarquer hier soir que notre voyage coïncide, à une semaine près, avec vos vacances, que vous serez pour elle, votre femme et vous, des compagnons plus intimes et plus agréables que notre cortège d’officiels et que peut-être cette occasion de voir l’Afrique dans des conditions assez rares vous tenterait... Seulement, j’ai besoin de le savoir tout de suite, car mes bureaux achèvent en ce moment les listes et les programmes...

« Je le remerciai et lui demandai quelques heures pour consulter ma femme. J’avais d’abord été tenté. Dès que je fus seul, je me représentai ce qu’aurait de gênant, et d’odieux, une intrigue vaguement amoureuse menée sous les yeux vigilants de Madeleine et alors que je serais l’hôte de Bonnivet. Nelly était belle mais je la jugeai sévèrement. Pendant le déjeuner, je racontai l’offre à Madeleine, sans dire, naturellement, ce qui l’avait provoqué et cherchai avec elle les moyens de refuser sans impolitesse. Elle imagina sans difficulté quelques engagements antérieures et nous n’allâmes pas en Afrique.

« Je sais que Nelly Bonnivet parle de moi, depuis ce temps-là, non seulement avec ironie, mais avec un peu d’hostilité. Notre ami Lambert-Leclerc a l’autre jour cité devant elle mon nom comme celui d’un candidat possible à la Préfecture de la Seine. Elle a fait la moue. « Maufras ! a-t-elle dit, quelle idée ! Il est très gentil, mais il n’a aucune énergie. C’est un homme qui ne sait pas ce qu’il veut. »

« Bonnivet a répondu : « Nelly a raison », et je n’ai pas été nommé. »

D’après André Maurois, « La foire de Neuilly »

 

Questionnaire

1. Le registre lyrique inscrit dans le texte la présence et la voix de l’auteur, ou de son personnage, qui communique avec intensité des émotions et des sentiments personnels. Il cherche à créer une proximité avec le destinataire. Celui-ci reconnaît, dans la confidence intime, des sentiments qu’il pourrait lui-même éprouver. Quel trouble le personnage exprime-t-il ?

2. Etudiez la progression des sentiments du narrateur par rapport à Bonnivet et à sa femme.

3. Comment pourriez-vous caractériser le narrateur ? Comment explique-t-il le moment de son éblouissement ?

4. Que pourriez-vous dire à propos de Nelly Bonnivet ?

5. Dans le registre lyrique, l’auteur ou le personnage cherchent à partager leurs sentiments avec celui à qui ils s’adressent. Les marques de cette sollicitation sont les pronoms personnels, les pronoms possessifs et les adjectifs possessifs de la 2ème personne du singulier et du pluriel. Trouvez de pareils exemples dans le texte.

6. Le registre lyrique utilise divers procédés pour marquer l’intensité des émotions et des sentiments exprimés, y compris la ponctuation. Par exemple, il prend le destinataire à témoin à travers la forme interrogative ou exclamative. Trouvez-en les exemples dans le texte.

7. Relevez le réseau lexical des sentiments. Quel lexique y prédomine-t-il ?

8. Etudiez les moyens stylistiques employés par l’auteur.