Le mot en tant que signe linguistique

Le mot- unité sémantico-structurelle fondamentale de la langue. Le mot est reconnu par la grande majorité des linguistes comme étant une des unités fondamentales, voire l'unité de base de la langue. Cette opinion qui n'a pas été mise en doute pendant des siècles a été toutefois revisée par certains linguistes du XXe siècle. Parmi ces derniers il faut nommer des représentants de l'école structuraliste, et en premier lieu les linguistes américains Z.S. Harris, E.A.Nida, H. A. Gleason, selon lesquels non pas le mot, mais le morphème serait l'unité de base de la langue. Conformément à cette conception la langue se laisserait ramener aux mor-phèmes et à leurs combinaisons.

 

Ch. Bally propose la notion de sémantème (ou sème)et la notion de molécule syntaxique

 

Le mot est une unité polyfonctionnelle. Il peut remplir toutes les fonctions propres aux autres unités significatives : fonctions nominative, significative, communicative, pragmatique. L'envergure du fonctionnement du mot est si grande qu'il peut se transformer en morphème, d'un côté (ex. : march - dans nous marchons) et constituer une proposition, de l'autre (ex. : marchons ! silence /). Ce fait permet de conclure que les frontières entre le mot et les autres unités significatives restent ouvertes.

Le caractère polyfonctionnel du mot en fait une unité quasi universelle. Précisons toutefois que le mot peut ne pas réaliser dans la parole l'ensemble de ses fonctions virtuelles (ainsi, par exemple, la fonction pragmatique).

L'asymétrie qui est propre aux unités de la langue en général est particulièrement caractéristique du mot. Cette asymétrie du mot se manifeste visiblement dans la complexité de sa structure sémantique. Le même mot a le don de rendre des significations différentes. Les significations mêmes contiennent des éléments appartenant à des niveaux différents d'abstraction. Ainsi le mot exprime des significations catégorielles : l'objet, l'action, la qualité. Ces significations sont à la base de la distinction des parties du discours. À un niveau plus bas le mot exprime des significations telles que la nombrabitité/la non-nombrabilité, un objet inanimé/un être animé. A un niveau encore plus bas le mot traduit diverses significations lexicales différencielles.

Notons encore que le mot constitue une réalité psychologique c'est avant tout les mots qui permettent de mémoriser nos connaissances et de les communiquer.

 

La majorité des linguistes reconnaît l'existence d'un lien indissoluble entre la pensée de l'homme et la langue. L'homme pense au moyen de notions qui se combinent en jugements, il communique sa pensée à l'aide de mots qui s'agencent en propositions. Ces catégories logiques et linguistiques apparaissent toujours dans leur liaison étroite.

 

Le mot et la notion présentent une unité dialectique. Examinons le processus de cognition. Dans quel rapport se trouvent le mot et la notion ? Dans quel rapport se trouvent la notion et l'objet de la réalité ? On distingue deux degrés de la connaissance.

Le premier degré consiste dans la sensation. dans la formation de perceptions et de représentations à partir de la sensation. La sensation est le lien immédiat entre la réalité, le monde extérieur et la conscience La sensation sert de base à la perception et la représentation. Le processus de perception s'effectue quand on perçoit directement un objet par les sens. La perception est l'ensemble des sensations produites par un objet. On peut se représenter un objet sans le percevoir directement, à l'aide de la mémoire ou de l'imagination. Alors on est en présence du processus de la représentation. La représentation est l'image mentale de l'objet qui n'est pas perçu directement par les sens. Ainsi l'homme entre en contact avec la réalité par les sensations, les perceptions et les représentations. Mais ce n'est que le premier stade du processus de la connaissance.

Le deuxième degré de la connaissance suppose la généralisation des phénomènes isolés, la formation des notions (ou concepts) et des jugements.

Par la généralisation théorique, abstraite des perceptions et des représentations, on forme des notions, des concepts. La notion, le concept fait ressortir les propriétés essentielles des objets, des phénomènes de la réalité sans en fixer les propriétés accidentelles.

 

La notion (ou le concept) peut être rendue par des moyens linguistiques différents : par des mots, des groupes de mots. C'est pourtant le mot par excellence, qui sert de moyen pour exprimer la notion. La faculté d'exprimer des notions ou des concepts est une des caractéristiques fondamentales des mots et de leurs équivalents.

Donc, le mot et la notion (le concept) constituent une unité dialectique.

 

Les notions, les concepts peuvent être réels et irréels. Ils sont réels à condition de refléter les propriétés des objets et des phénomènes de la réalité objective

 

Dans la linguistique occidentale, et également dans la linguistique russe, le mot est souvent conçu comme un signe de l'objet, du phénomène qu'il désigne. Cette conception remonte à la théorie du signe de F de Saussure

 

où l'image acoustique n'est point le son matériel (« chose purement physique »), mais l'empreinte psychique de ce son (« elle est sensorielle »)

Cette conception suscite des objections d'une part, elle donne libre cours aux théories idéalistes du mot, en le détachant de la réalité objective : d'autre part, elle pousse à l'agnosticisme.

F. de Saussure prive le mot de sa substance matérielle ; à l'enveloppe sonore (ou la graphie) il substitue une image acoustique qui réside dans notre cerveau et représente un phénomène purement psychique. En réalité le mot comporte nécessairement un aspect matériel (sonore ou graphique) du fait que la langue en tant que moyen de communication s'appuie sur la matière qui non seulement réalise notre pensée, mais lui sert de véhicule.

F. de Saussure insiste avec raison sur le caractère nécessairement arbitraire du signe. En effet, tout signe doit être arbitraire.

 

Donc, à travers la notion le mot reflète la réalité objective. C'est justement pour cette raison que le mot en tant qu'unité dialectique de l'enveloppe matérielle et de la notion présente un instrument efficace de la connaissance de la réalité des phénomènes. Même les notions irréelles, qui constituent d'ailleurs un nombre minime, ne sont point détachées de la réalité et, par conséquent, ne sont point absolument arbitraires. Grâce à la pratique quotidienne qui est le critère suprême de la justesse de toutes nos connaissances leur nombre va décroissant.

 

Il est notoire que l'enveloppe sonore (ou la graphie) du mot doit nécessairement avoir la valeur d'un signe arbitraire. C'est précisément cette propriété du mot qui en fait une unité asymétrique, condition nécessaire de son fonctionnement. Si la substance matérielle du mot n'était pas arbitraire, mais conditionnée par la notion (si elle était en quelque sorte le symbole d'une notion et d'un objet) les mots n'auraient pas eu cette puissance communicatrice dont ils sont pourvus en réalité, ils n'auraient jamais pu traduire des contenus sémantiques différents, condition nécessaire du développement de toute langue (cf. les onomatopées qui symbolisent la notion qu'ils expriment : coucou, tic-tac et qui sont généralement monosémiques).

 

Les fonctions des mots

Les fonctions des mots. Nous avons signalé le rôle du mot en tant qu'instrument de la connaissance. Toutefois la raison d'être des mots, tout comme de la langue en entier, est de servir à la communication des hommes entre eux. Cette fonction capitale de la langue a été négligée par F. de Saussure qui a privé le signe linguistique de toute matérialité. C'est seulement à condition d'être matériel que le mot peut transmettre une information. En tant qu'élément de la communication le mot possède plusieurs fonctions.

La grande majorité des vocables est susceptible d'exprimer des notions (ou concepts) ; il serait juste de dire que ces vocables remplissent la fonction cognitive (intellectuelle ou dénotative). Cette fonction est en rapport direct avec une autre faculté propre aux mots, celle de nommer, de désigner les objets de la réalité ou leurs propriétés ; cette autre faculté des mots en constitue la fonction référentielle (ou désignative). Certains mots ont une valeur affective, ils servent à traduire les sentiments de l'homme, son attitude émotionnelle envers la réalité ; ce sont des mots à fonction émotive (ou affective).

Les fonctions cognitive, émotive, et référentielle des mots sont reconnues par la majorité des linguistes. Parmi ces fonctions la fonction référentielle caractérise le mot par excellence.

Les mots et leurs équivalents se distinguent quant aux fonctions qu'ils exercent dans la langue.

La plupart des mots autonomes, tels que les substantifs, les adjectifs qualificatifs, les adverbes, les verbes ont également la faculté d'exprimer des notions et celle de nommer les objets et leurs indices ; tels sont : homme, tête, main ; brave, vigoureux ; travailler, penser, etc. Ils sont appelés mots pleins.

Parmi les mots exprimant des notions il faut signaler ceux qui expriment des notions dites uniques. Ce sont les noms propres dénommant des lieux géographiques tels que : Moscou, Paris, la France, les Alpes, le Caucase, etc., ou des noms d'objets uniques tels que : le soleil, la terre, la lune, etc.

Parmi les mots autonomes on distingue les noms propres de personnes et d'animaux dont la fonction désignative est prioritaire : Pierre, Michel, Lucie, Médor, Minouche, etc. Ce sont aussi des mots-substituts dont les pronoms comme, par exemple : Qui parle ? Cet étudiant a tort, celui-ci a raison. Certains sont venus en retard, etc.

Nombreux sont les mots autonomes qui exercent à la fois les fonctions cognitive et émotive ; ce sont entre autres : cagoulard, mouchard, barbaque - « mauvaise viande » ; crève-cœur - « grand déplaisir mêlé de dépit » qui rendent des nuances émotionnelles dépréciatives ; bichon, biquet, lapin qui sont des termes d'affection. Parmi les mots autonomes remplissant uniquement la fonction émotive viennent se placer les interjections : oh, hélas, peuh, tiens, fi, zut, oh là là, allons, va, aïe, bof, etc.

Les mots non-autonomes ou mots-outils sont aussi caractérisés pari la fonction cognitive, cependant elle est d'autre nature : elle se situe non plus au niveau lexical, mais au niveau grammatical de la langue. Certains mots-outils traduisent les rapports existant entre les notions et les jugements (tels sont les prépositions, les conjonctions, les pronoms relatifs, les verbes auxiliaires copules) ; d'autres précisent, en les présentant sous jma. aspect particulier, les notions rendues par les mots qu'ils accompagnent (ainsi les déterminatifs : articles, adjectifs possessifs et démonstra-ptifs, les particules).

Signalons à part les termes modaux qui n'expriment pas des notions. |ïnais l'attitude du sujet parlant envers ce qu'il dit, par exemple : évidentument, probablement, peut-être, n 'importe, etc.

Remarquons qu'aux yeux de certains linguistes tout mot posséderait l forcément la fonction cognitive. Ainsi les noms propres de personnes et Ld'animaux rendraient la notion très générale de l'homme ou de l'animal or est toujours un chien, tandis que Paul s'associe régulièrement à fl'homme). Les interjections ne traduiraient pas les émotions du locuteur Ien direct, mais par le truchement des notions correspondantes (Pouah ! tiendrait l'idée d'un grand dégoût, tiens ! - celle d'une surprise). Cette iception, qui ne manque pas d'intérêt, fait toutefois violence aux phé-|nomènes linguistiques.

Si l'on compare, quant à leur contenu sémantique, les mots homme et Emile pris isolément la différence apparaîtra nettement. Le mothom-rendra effectivement la notion générale d'« être humain doué d'in-slligence et possédant l'usage de la parole », il n'en sera rien pour nile qui n'exprimera pas plus la notion d'« homme » que Minouche elle de « chat ». En effet, il est impossible de dégager une classe de îrsonnes dénommées Emile possédant en commun des traits caractéristiques. On ne peut que constater un certain rapport entre le prénom nile et la notion « homme » « être humain mâle »). Donc, au niveau de la langue-système Emile et Minouche sont dépourvus de la fonction agnitive. Il en est autrement au niveau de la parole. C'est justement ici |ue les noms propres de personnes et d'animaux se conduisent à l'égal Ses noms communs. En effet, les premiers, aussi bien que les derniers, exprimeront des notions particulières (cf. : Jean viendra - Cet homme fviendra).

Donc, les noms propres de personnes et d'animaux posséderont la fonction cognitive (et, évidemment, la fonction référentielle) au niveau ; la parole.

Aussitôt qu'un nom propre acquiert la faculté d'exprimer une notion générale (cf. : un Harpagon, un Tartufe) il sera promu au rang des noms communs et deviendra un mot à fonction cognitive au niveau de la lan-jPgue. Le passage d'un nom propre dans la catégorie des noms commun peut être dû à une connotation qu'on lui attribue sans aucune raison valable.

Confrontons à présent pouah ! et dégoût. Si dégoût rend bien une notion déterminée tout en la nommant, pouah ! traduit en direct un sentiment, une émotion causée par un phénomène de la réalité. Tout comme les notions les émotions reflètent la réalité. Toutefois ces réverbérations émotionnelles se situent à un niveau inférieur en comparaison de la notion. Donc, les interjections possèdent exclusivement la fonction affective qui apparaît aux deux niveaux de la langue. C'est dans le fait que les interjections rendent nos sentiments et non pas des notions qu'il faut chercher l'explication du caractère souvent flottant, imprécis de leur signifi-cation.