L'évolution sématiques des mots: le developpement et le changement du sens des mots

18. L'évolution sémantique et son rôle dans l'enrichissement du vocabulaire. La science qui traite de la structure sémantique des unités lexicales de même que de l'évolution de cette structure est appelée sémantique1.

La signification des mots et de leurs équivalents est, pour ainsi dire, un des aspects les plus « sensibles » de la langue. En effet, le contenu sémantique des vocables réagit immédiatement et directement aux moindres changements survenus dans la société, et non seulement dans la société - facteur extralinguistique, mais dans la langue même. Cette extrême « sensibilité » du contenu sémantique des mots rend très difficile la classification des nombreuses modifications de sens.

L'évolution sémantique des mots est une source interne féconde de l'enrichissement du vocabulaire. Il serait encombrant pour la langue d'avoir un vocable nouveau pour chaque notion nouvellement surgie. La langue réussit à accomplir ses fonctions à moindres frais ; elle utilise largement les mots qu'elle possède en leur soufflant une vie nouvelle. Ainsi chaque mot peut développer sa structure sémantique ou son système de significations.

Un mot peut modifier son sens à la suite du changement que subit la notion rendue par ce mot. Cette opinion a été exprimée à plusieurs reprises. « Monter dans sa voiture, remarque H. Mitterand, ce n'est plus s'asseoir sur le siège de son cabriolet et saisir les rênes du cheval, mais s'installer au volant et se préparer à appuyer sur le démarreur. » [12, p. 87]. Au XIXe siècle la lampe était « un récipient renfermant un liquide (huile, pétrole, etc.) susceptible de donner de la lumière en brûlant ». Aujourd'hui ce ne sont plus les lampes à pétrole, mais les lampes électriques, à néon ou à vapeur de mercure qui nous éclairent et un fer à repasser est de nos jours le plus souvent en matière plastique à base de nickel. Dans tous ces cas c'est la notion exprimée qui se transforme, tandis que le mot ne change pas. Généralement les modifications sémantiques de ce genre se font imperceptiblement, et les locuteurs n'en prennent conscience qu'après coup.

Très souvent l'évolution sémantique d'un mot est le résultat de la dénomination d'un objet (ou d'un phénomène) nouveau au moyen d'un vocable désignant un autre objet auquel cet objet nouveau s'associe par quelque rapport. C'est ainsi que le mot cellule dont le premier sens est « une petite chambre dans un monastère » est arrivé à désigner « les alvéoles de cire dans lesquelles les abeilles déposent leur miel », et, plus récemment, ce mot rend aussi les notions scientifiques : cellule végétale, cellule sanguine, cellule photo-électrique. Il en est de même pour les mots homme, tête, bras, bec, maigre, méchant, ruminer, broncher et une quantité d'autres.

Le procès sémantique peut aboutir à un changement total ou à une modification partielle du contenu sémantique d'un mot. Le contenu sémantique change complètement lorsque ce mot acquiert un sens nouveau qui élimine son sens primitif. Nous sommes alors en présence du c h an -gement sémantique total d'un mot. Ainsi le verbe étonner et ses dérivés signifiaient autrefois « frapper d'une vive émotion, ébranler comme par un coup de tonnerre », par exemple : On le vit étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups (Bo s s u e t).

Plus tard ce verbe a pris le sens de « surprendre, frapper l'imagination » qui seul a survécu ; aujourd'hui le verbe étonner ne fait plus partie de la famille des mots tonner, tonnerre. Le sens ancien de l'adjectif sou/ était « rassasié » ; par la suite ce mot a été appliqué exclusivement aux gens « grisés par le vin » (« rassasié de vin ») : ainsi, le mot soûl est devenu le synonyme de ivre et il a même remplacé ce dernier dans l'usage familier. Ramage était au Moyen Âge un adjectif signifiant « qui a beaucoup de branches, de rameaux », puis « qui vit dans les branches » ; ce mot a qualifié en particulier le chant des oiseaux dans les arbres (on disait chant ramage) : enfin ramage est devenu un substantif qui désigne le chant des oiseaux, même s'ils ne sont pas dans les arbres. Candeur ne signifie plus « une blancheur éclatante ». « mais la pureté morale ». On ne dira plus pour une haute montagne qu'elle est hautaine ou pour un chemin raboteux qu'il est scabreux. Les verbes navrer et offenser ne s'appliquent plus aux blessures corporelles, mais seulement aux blessures morales. Gibier n'a plus le sens « de chasse ». Gâter ne signifie plus « ravager, dévaster ».

Le procès sémantique a parfois pour conséquence un changement partiel du contenu du mot. Ici des cas différents se présentent. Le plus souvent on assiste à l'enrichissement du système de significations d'un mot lorsque ce dernier acquiert un sens nouveau qui s'ajoute aux anciens. Nous sommes alors en présence du développement sémantique de ce mot. Ces cas sont très nombreux. Nous allons nous borner à un exemple. Le substantif esprit du latin spiritus avait le sens de « souffle » qu'il a transmis à l'ancien français ; au Moyen Âge il acquert l'acception chrétienne « souffle vital, âme » qui lui vient de la Bible : employé comme terme d'alchimie il reçoit les sens de « essence » et « spiritueux » : le principe d'« immatérialité ». étant à la base de son évolution sémantique ultérieure, esprit a pu donner le sens de « intellect » : ce dernier en est venu à suggérer celui de « être pensant, personne douée d'intelligence ».

Cet exemple prouve que l'évolution sémantique peut suivre un chemin sinueux et imprévisible

Le changement sémantique est aussi partiel lorsque les modifications portent uniquement sur le signalement du mot : ses caractéristiques stylistiques ou ses particularités d'emploi. Ainsi on peut constater un changement sémantique partiel pour envisager et dégringoler qui dans envisager une question, dégringoler l'escalier sont passés du style familier dans le style neutre.

Encore récemment les dictionnaires condamnaient l'emploi du substantif but avec les verbes poursuivre et remplir. Aujourd'hui les expressions poursuivre un but, remplir un but y ont reçu droit de cité. Il en est de même de l'expression éviter qch à qn qui encore au début du XXe siècle était déconseillée. Toutefois nous trouvons déjà chez A. France « // avait évité à sa vieille mère les fatigues d'une longue station ». Les verbes signalés n'ont subi qu'une modification sémantique partielle puis-. qu'ils n'ont fait que réaliser dans un nouveau contexte un sens qu'ils possédaient déjà (cf. : poursuivre un idéal, remplir une fonction, éviter un ennui).

L'évolution sémantique peut enfin aboutira l'apparition d'homonymes dits sémantiques et qui sont des mots remontant à la même origine et, par conséquent, caractérisés par la même forme, mais dont le contenu sémantique est totalement séparé1. Tel est le cas de grève « cessation de travail par les ouvriers coalisés » qui est aujourd'hui un homonyme de grève « plage sablonneuse ou caillouteuse ». Il en est de même pour tirer « envoyer au loin (une arme de trait, un projectile) au moyen d'une arme » qui ne se rattache plus à tirer « amener à soi ou après soi ». Table -« meuble posé sur un ou plusieurs pieds » est un homonyme de table -« liste d'un ensemble d'informations » (table de multiplication, table des matières). Il y a eu aussi rupture sémantique entre réfléchir « penser, méditer » et réfléchir « renvoyer dans une direction opposée », par exemple : réfléchir un rayon, une onde.

L'évolution sémantique des mots est une des principales voies de l'enrichissement du vocabulaire1. D'où le grand rôle de la sémantique, l'importance des études visant à révéler les lois présidant à l'évolution du sens des mots.