Les emprunts dans la langue francais (definition, forme et voix des emprunts)

Outre les sources internes, telles que l'évolution sémantique et la formation des mots et de leurs équivalents, le français possède, comme toute autre langue, une source externe de l'enrichissement du vocabulaire - l'emprunt aux autres idiomes.

Notons que l'acception du ternie « emprunt » est étendue outre mesure dans certains travaux de linguistique.

C'est à juste raison que dans son œuvre capitale sur l'emprunt linguistique L. Deroy remarque qu' « on ne peut logiquement qualifier d'emprunts dans une langue donnée que des éléments qui y ont pénétré après la date plus ou moins précise marquant conventionnellement le début de cette langue » |36, p. 6]

Le français a réellement fait des emprunts seulement après s'être' affranchi des caractères essentiels du latin, après avoir acquis les traits fondamentaux d'une langue romane particulière. C'est pourquoi il est incorrect de considérer comme emprunts proprement dits les mots d'origine celtique (par ex : bouleau, bec. tonneau, etc.) et germanique (par ex. :jardin, fauteuil, gare, etc ) introduits à l'époque de la formation du français en tant que langue indépendante

L'emprunt à proprement parler se fait à un idiome foncièrement différent de la langue emprunteuse. En ce sens il est abusif de parler d'emprunts faits par le français à l'argot ou à des terminologies diverses, car l'argot et les nombreuses terminologies sont autant de rejetons du français commun. Il est difficile pour la même raison de qualifier de véritables emprunts les mots dialectaux qui ont pénétré dans le vocabulaire commun, les dialectes étant aussi des variétés de la langue française nationale'.

Donc, nous appellerons « emprunts » uniquement les vocables (mots et locutions) et les éléments de mots (sémantiques ou formels) pris par le français à des langues étrangères ainsi qu'aux langues des minorités nationales (basque, breton, flamand) habitant le territoire de la France. On emprunte non seulement des mots entiers quoique ces derniers soient les plus fréquents. Les significations, les traits morphologiques et syntaxi-ques sont aussi empruntables. C'est ainsi que l'acception récente du verbe français réaliser « concevoir, se rendre compte » est un emprunt sémantique fait à l'anglais. Croissant (de boulanger) et lecteur (de l'Uni-versité sont des emprunts sémantiques venus de l'allemand. Créature a pris à l'italien le sens de « protégé, favori ». (« C'est une créature du dictateur »). Sous l'influence de l'anglais contrôler et responsable ont reçu respectivement le sens de « dominer, maîtriser » (« contrôler ses passions ») et « raisonnable, sérieux » (« une attitude responsable »). Le sens de l'anglo-américain undésirable a déteint sur le français indésirable qui lui aussi désigne à présent une personne qu'on refuse d'accueillir dans un pays.

Une façon toute particulière d'emprunter est celle d'adopter non seulement la signification, mais aussi la « forme interne » du vocable étranger. Ce type d'emprunt est appelé « calque ». En guise d'exemple signalons surhomme modelé sur l'allemand Ûbermensch ; franc-maçon et bas-bleu reproduisant les formations anglaises free-mason et blue-stocking ; prêt-à-porter est aussi un calque de l'anglais ; gratte-ciel correspond à l'anglo-américain sky-scraper. Les locutions marée noire, plein emploi sont calquées sur des tours anglais black tide et full employment.

Les éléments morphologiques sont introduits dans la langue par l'intermédiaire d'une série de mots d'emprunt comportant ces éléments. Le suffixe -ade, avant de devenir un suffixe français faisait partie de nombreux substantifs pris à d'autres langues romanes. Les suffixes -esque et

-issime sont venus par le biais d'italianismes. C'est par le truchement d'une multitude d'emprunts faits au latin que le suffixe -ation a pris racine en français ; -isme y a été introduit à la suite de la pénétration de nombreux mots latins formés avec ce suffixe de provenance grecque.

Il est possible d'emprunter non seulement des éléments significatifs, mais aussi des sons ou des combinaisons de sons. Pour ce qui est du français c'est le cas du léger « coup de glotte » introduit avec les mots d'origine germanique et rendu graphiquement par le h dit aspiré : hache, hareng, haricot, héros, hors-d"œuvre, etc. À l'heure actuelle on signale l'intrusion du son [] par l'intermédiaire des mots anglais en -ing, fait qui est déploré par beaucoup de linguistes : aujourd'hui l'articulation de ce son soulève encore des difficultés, son assimilation (si assimilation il y a !) dans l'avenir pourrait porter atteinte au système phonique du français.

Si la langue s'oppose à l'intégration des sons étrangers, elle accueille plus facilement les nouvelles combinaisons ou positions de sons existants. Ainsi, par exemple, les combinaisons [sn], [st], [sk], [sp] impossibles au début des mots en ancien français, ne choquent plus depuis l'adoption de nombreux mots latins les comportant (cf. : stérile, stimuler, statue, spectacle, spécial, spatule, scandale, scalper, scander, stade, stable, stagner, etc.).

L'étude des emprunts révèle nettement le lien existant entre la langue et l'histoire du peuple qui en est le créateur.

Le vocabulaire du français moderne compte un assez grand nombre d'emprunts faits aux idiomes étrangers à des époques différentes.

Chaque période du développement du français est caractérisée par le nombre et la qualité des mots empruntés, ce qui découle des conditions historiques concrètes, du caractère des relations entre le peuple français et les autres peuples.' Parfois l'emprunt est dicté par la mode ou par un snobisme ridicule. Mais, en règle générale, c'est la langue d'un peuple qui, à une époque donnée, a acquis un grand prestige dans l'arène mondiale, une influence économique et culturelle prépondérante qui devient une féconde source d'emprunt. C'est pourquoi les emprunts présentent un grand intérêt non seulement pour le linguiste, mais aussi pour l'historien, en tant que document historique et culturel.

Afin que l'emprunt s'effectue aisément l'influence politique, culturelle d'une nation sur une autre à une époque donnée n'est guère suffisante à elle seule. L'emprunt est surtout facilité lorsque la langue qui puise et celle qui sert de source appartiennent à la même famille et surtout à la même branche.

L'itinéraire des emprunts est parfois fort compliqué. Selon que l'emprunt à une langue s'effectue immédiatement ou par l'entremise d'une autre langue, il est direct ou indirect. Les mots exotiques du vocabulaire français sont fréquemment des emprunts indirects. Ainsi pirogue est un emprunt fait à la langue des Caraïbes par l'intermédiaire de l`espagnol : bambou a été pris au portugais, qui à son tour l'a emprunté au malais : albatros et véranda, d'origine portugaise, tornade de provenance espagnole ont été introduits en français par l'anglais : barbecue - mot haïtien a pénétré dans le français par l'anglais via l'espagnol.

Signalons à part certains mots qui, après avoir été pris au français par d'autres langues, sont revenus méconnaissables à leur bercail linguistique : tel est budget emprunté directement à l'anglais et remontant à l'ancien français bougette - « petit sac » ; tennis venu de l'anglais n'est rien autre qu'une altération de la forme française « tenez ». tenue de jeu de paume : humour pris aussi à l'anglais remonte au français humeur au sens de « penchant à la plaisanterie ». Un cas curieux est offert par l'emprunt récent badlands fait à l'anglais qui à son tour est calqué sur le français « mauvaises terres ».

Les emprunts faits par une langue sont parfois géographiquement limités. Ainsi en Belgique l'emprunt allemand bourgmestre est l'équivalent de « maire ». Les tenues de football anglais goal, goal-keeper, back, half, shoot, shooter, hands, corner couramment employés en Belgique sont plus volontiers remplacés en France par les traductions françaises correspondantes : but, gardien de but, arrière, demi, tir, tirer, coup de main (ou main}, coup de coin... Il arrive souvent que l'emprunt prenne dans les pays de la francophonie un sens inconnu ou inemployé par les Français. Les Canadiens francophones emploient couramment char (lat.) pour « automobile ». les petits chars pour « tramway », pamphlet (angl.) pour « brochure, tract, prospectus » : en Suisse le mot fanfaron a pris le sens de « musicien, membre d'une fanfare » : en Suisse et en Belgique auditoire (lat.) est employé pour « salle de cours ». alors que pour les Français de l'Hexagone c'est « l'ensemble des personnes qui écoutent » ou « l'ensemble des lecteurs (d'un ouvrage, d'un journal) : carrousel (ital.) qui en France signifie « variété de parade de cavaliers » a pris en Belgique et en Suisse le sens de « manège forain, chevaux de bois ») (cf. en russe «карусель») : un cannibal (esp.) est pour les Français « un an-thropophage » alors qu'en Belgique il reçoit encore le sens de « pain de mie grillé garni de viande crue haché et assaisonné ».

Passons à présent en revue les sources des emprunts faits par le français en suivant autant que possible l'ordre chronologique de leur pénétration massive.