Les origines de la synonimie

Les origines de la synonymie. L'apparition de nouveaux synonymes répond au besoin de nuancer notre pensée. Les dénominations de ces nuances sémantiques sont puisées dans des sources diverses Parfois c'est l'emprunt à une langue étrangère Ainsi, à côté du mot goûter a apparu son synonyme d'origine anglaise lunch ; à côté de bavarder, jaser a surgi un mot d'origine espagnole -palabrer (de l'esp. palabra - « parole ») qui signifiait jadis « tenir une conférence avec un chef nègre ». Le mot d'origine anglaise barman est venu se ranger à côté des mots français serveur et garçon. Le mot anglais business ou bisness est à présent un synonyme de commerce, affaire : à côté de salle, vestibule a apparu le mot anglais hall.

Il arrive parfois que les doublets étymologiques conservent une affinité de sens qui permet de les considérer comme synonymes ; ainsi, les adjectifs raide et rigide remontent à un seul adjectif latin rigidus. Les deux mots français sont des synonymes idéographiques, tant au sens propre que dans leur emploi figuré. Au sens propre raide indique ce qui. étant très tendu, est difficile àplier ; rigide signifie tout simplement l'impossibilité d'être plié : une corde tendue est raide, une barre de fer est rigide. Au sens figuré, appliqué au caractère d'une personne, raide suppose la hauteur, la réserve froide, tandis que rigide — plutôt la sévérité, l'austérité.

Les adjectifs synonymes frêle et fragile présentent le même phénomène : tous les de,ux remontent à un seul adjectif latin fragilis, tous les deux indiquent l'aptitude à être brisé, cassé, mais frêle implique l'idée de « facilité d'être courbé, ployé » qui se rapproche de la notion exprimée par l'adjectif faible : la porcelaine est fragile, la tige d'une fleur est frêle.

Il n'est pas rare de rencontrer des synonymes formés d'une seule racine, dont l'un contient un affixe et l'autre en est dépourvu : tels les substantifs mont et montagne qui sont des synonymes idéographiques. Le mot mont s'emploie plutôt quand on souligne le caractère individuel de l'objet : le mont Olympe, le mont Parnasse, tandis que le mot montagne a un caractère plus général : descendre une montagne, habiter au pied d'une montagne. Les substantifs meubles et mobilier présentent deux variantes historiques de la même racine dont la seconde est formée à l'aide du suffixe -ier. La différence sémantique entre ces deux synonymes consiste en ce que le premier désigne plusieurs objets individuels, tandis que le second envisage ces objets dans leur ensemble.

Mais le plus souvent c'est au développement de la polysémie que la langue doit l'apparition des synonymes. Les mots, qui primitivement n'avaient rien de commun entre eux, arrivent à former des séries de synonymes à la suite de leur évolution sémantique, dictée par des besoins de communication.

En comparant disparaître, s'éclipser, s'évanouir, s'effacer (qui sont tous des synonymes idéographiques partiels) on se rend facilement compte des voies par lesquelles ces mots ont pris des significations similaires ; ce phénomène se produit généralement par le développement des emplois figurés qui se fixent peu à peu comme des significations secondaires des mots ; ainsi s'éclipser (de éclipse - «затмениe») ne s'appliquait primitivement qu'au Soleil ou à la Lune. Ensuite, on a commencé à l'employer pour indiquer la disparition d'un objet dérobé à la vue par quelque obstacle, par exemple : un paysage qui s'éclipse dans le brouillard. Une nouvelle évolution de l'emploi figuré se produit : le verbe commence à s'employer pour « s'éloigner, disparaître aux yeux du monde » comme dans s'éclipser de la scène politique et aussi « partir à la dérobée, s'esquiver » :

Le vieux domestique s'était éclipsé (Gautier).

Le verbe s'applique aussi à des choses qui ne sont pas seulement invisibles, mais qui ne sont pas devant les yeux et. partant, s'éclipser devient le synonyme abstrait de disparaître, s'évanouir. Le « Dictionnaire de la langue française » (le Robert) l'atteste par l'exemple suivant :

Ainsi s'éclipsèrent en un instant toutes mes grandes espérances. (J.-J. Rousseau).

Ce verbe diffère de son synonyme disparaître en ce qu'il met en relief la nuance « cesser subitement d'exister et de façon imprévue ».

S'évanouir, au contraire, indique l'anéantissement graduel d'une chose qui disparaît à vue d'oeil et sans laisser de traces. Ce mot s'applique de préférence à des notions telles que le rêve, la vision, etc. : Mon bonheur s'est évanoui comme un songe.

S'effacer ne signifiait à l'origine que la disparition sous l'action physique de quelque chose d'écrit ou de gravé, par exemple : une inscription s'efface, l'effigie d'une médaille s'efface ; ensuite au figuré le mot s'est appliqué à des phénomènes fixés dans la mémoire : un souvenir, une image gravés dans la mémoire peuvent s'effacer. Actuellement le verbe s'effacer s'emploie comme synonyme de disparaître précisément en parlant des souvenirs et se rapproche du verbe s'oublier ; par exemple : le ciel d'Afrique a produit en moi un enchantement qui ne s'efface point ; je croyais que tout s'oubliait, que tout s'effaçait...

Tous ces synonymes désignent le même phénomène — la disparition, mais ils le présentent sous des angles différents, selon la manière dont les choses diverses disparaissent.

Le développement des acceptions figurées des mots et leur adaptation au besoin d'exprimer des notions voisines, mais différentes, fournit une source inépuisable de nouveaux synonymes. En même temps ce pro-cessus peut amener à la destruction d'une synonymie plus ancienne.

Dans son dictionnaire des synonymes R. Bailly cite ace propos l'exemple du mot libertin qui signifiait en latin « esclave libéré » ; au XVIIe siècle ce mot était le synonyme de libre-penseur, au XVIIIe siècle il est devenu le synonyme de débauché. De nos jours il ne s'emploie que comme terme historique.

Les synonymes sont aussi créés par les euphémismes qui tendent à se substituer à des vocables trop crus sans toutefois y réussir nécessairement. C'est pourquoi les euphémismes surgissent en tant que synonymes de vocables existants (cf. : quitter les siens et mourir : simple, naifct bêle : porter des cornes, voyager en Cornouaille et être cocu). Peu à peu les créations euphémiques perdent leur caractère « distingué » du fait que l'idée de la chose s'unit à l'exprеssion, et elles sont relayées par de nouveaux euphémismes

Ainsi la synonymie se développe et se modifie tout comme les autres aspects de la langue.

 

 

Les antonymes

Généralités. Les antonymes sont des vocables à sens opposé qui expriment des notions contraires. Les contraires forment toujours une sorte d'unité : les choses qui n'ont rien de commun entre elles ne peuvent pas être contraires : par exemple : pierre et livre, lampe et pain, etc . qui expriment des notions incompatibles, ne sont pas des antonymes, mais des mots à différents contenus sémantiques. Par contre, bon et mauvais, tou-jours et jamais, force et faiblesse sont des antonymes car ils expriment des notions contraires, le contraire étant l'opposition entre deux choses homogènes. L'antonymie est un phénomène psycholinguistique : les oppositions antonymiques ne reflètent pas nécessairement les oppositions réelles entre les choses, mais les oppositions qui constituent des images que nous formons du monde réel. Par exemple, le blanc et le noir sont perçus par notre esprit comme des contraires, tandis que le rouge et le violet ne le sont pas. quoique du point de vue scientifique ils représentent bien les points opposés du spectre (l'infra-rouge et l'ultra-violet). Grâce à cette particularité des oppositions psycholinguistiques apparaît le phénomène de l ' a n t o n y m e o c c a s i o n n e l l e.

 

Les oppositions entre deux choses homogènes peuvent être de différente nature ; de là - les différents types d'antonymes.

1. Le type d'antonymes le plus répandu repose sur des oppositions graduelles, qualitatives ou quantitatives, qui présupposent aussi un point neutre : les opposés s'éloignent également de ce point central ; l'absence de l'un n'implique pas l'existence de l'autre Dans ces cas on est en présence d'une valeur négative opposée à une valeur positive de même intensité, et l'inverse :

long — court amour - haine

froid — chaud ami — ennemi

grand — petit défendre - attaquer

Les antonymes de ce type peuvent être comparés à un objet et son reflet dans un miroir : la surface du miroir occupe une position intermédiaire, l'objet et son reflet en sont également éloignés en sens inverse.

On peut occuper ce point intermédiaire et n'être, par exemple, ni l'ami, ni l'ennemi de qn : ni défendre ni attaquer qn. L'absence de l'amour n'est pas la haine tandis que. par exemple, l'absence de mouvement est l'immobilité, l’opposé de la guerre est la paix et vice versa.

Les contraires de ce type peuvent avoir des degrés d'intensité différents qui les éloignent du centre dans des directions opposées :

minuscule  petit  /  grand  colossal

magnifique  beau  /  laid  horrible

ami  partisan  /  adversaire  ennemi

haine  antipathie  /  sympathie  amour

humilié  humble  modeste  /  fier  hautain  arrogant

poltron  lâche  craintif  /  brave  audacieux  intrépide

L'antonymie apparaît parfois même dans les oppositions des mots signifiant des objets. Mais ces oppositions impliquent l'idée d'une qualité ou d'une quantité : de grandeur ou de petitesse, de force ou de faiblesse, de bon ou de mauvais.

Le mot rosse est le contraire du mot coursier car il y a opposition d'un mauvais cheval et d'un bon cheval. Le mot chaumière (« logis misérable ») peut être considéré comme l'antonyme de palais (« logis somptueux »). Cette opposition apparaît nettement dans l'appel : Paix aux chaumières, guerre aux palais !

L'emploi antonymique des mots désignant des objets est surtout fréquent dans le style allégorique : les objets ou les animaux petits et faibles impliquent l'idée de faiblesse, les grands objets, de même que les grands animaux supposent la force (cf. : le loup et l'agneau, la montagne et la souris, le roseau et le chêne, etc.)

Conformément à la logique ces cas ne représentent pas des contraires, leur statut d'antonymes est d'ordre psychologique et dû à la convention.

Les dénominations des notions sociales, des groupes antagonistes de la société humaine, qui s'opposent l'une à l'autre pendant des siècles, peuvent être perçues comme étant des antonymes : riche — pauvre ; aristocrate — plébéien ; oppresseur - opprimé, etc. Ce domaine du lexique rend particulièrement évidente la fluidité de ce type d'antonymie . des vocables qui étaient jadis antonymes cessent de l'être : d'autres, qui ne l'étaient jamais, le deviennent ainsi, à l'époque de la Révolution française le néologisme sans-culotte s'opposait à aristocrate ; pendant la guerre civile en Russie les termes politiques les blancs et les rouges étaient des antonymes. À la suite des événements de la deuxième guerre mondiale en France les termes politiques collaboration et résistance sont devenus des antonymes.

Les changements historiques reflétés par l'antonymie peuvent être illustrés par le mot bourgeois : au Moyen Age ce mot avait pour antonymes, d'une part, manant, vilain, serf, d'autre part, féodal, seigneur : au XVIIe siècle son antonyme était gentilhomme, au XIXe et XXe — ouvrier, prolétaire.

2. Un grand nombre d'antonymes sont liés à des notions spatiales : ils désignent ce qui est dirigé en sens inverse, ce qui occupe les points opposés dans l'espace :

la droite -- la gauche

le sud — le nord

l'ouest — l'est

à l'intérieur — à l'extérieur

le haut — le bas

au sommet de — au pied de

Les nombreux mots qui indiquent le déplacement dans des directions opposées sont également des antonymes :

entrer — sortir

descendre — monter

s'approcher — s'éloigner

venir — partir

Les antonymes de ce type se distinguent des précédents en ce que les deux opposés impliquent la notion d'un point intermédiaire immobile, qui est le centre du déplacement dans des directions contraires. Ces anto-nymes sont appelés vectoriels.

3. On considère comme antonymes les vocables qui expriment des notions excluant l'une l'autre, qui ne peuvent exister simultanément. L'existence de l'une rend impossible l'existence de l'autre ; ces antonymes sont appelés complémentaires. Tels sont :

présence — absence

guerre — paix

mouvement — immobilité

l'être — le néant (cf. : « L'Être et le Néant » de J.-P. Sartre).

4. On traite parfois d'antonymes des vocables dont le sens repose sur un rapport de réciprocité. Ce rapport décrit la même situation vécue pa des partenaires différents. Ainsi il y a réciprocité dans les actes tels que donner et prendre :

Jean a donné un livre à Pierre. - Pierre a pris un livre à Jean.

La réciprocité est typique des rapports de parenté :

Jean est le mari d'Hélène. - Hélène est la femme de Jean.

II en est de même de frère et sœur, de parents et enfants, etc.

 

 

L'antonymie partielle. Tout comme les synonymes, les antonymes peuvent être partiels. Les mots polysémiques peuvent avoir des antonymes dans chacune de leurs acceptions.

Ainsi le mot boitillant signifie : 1) « ce qui bout » : 2) « actif, ardent, emporté ». La première acception a pour antonyme froid, glacé, la deuxième - calme, pondéré. Le mot bouillant est un antonyme partiel des adjectifs froid et calme.

Bouleverser, pris dans le sens de « mettre en désordre » a pour antonyme arranger : ce même mot pris dans son sens figuré (« troubler, confondre ») est l'antonyme de calmer, apaiser.

On pourrait citer également l’adjectif bourgeois : quand il s'agit de l'habit bourgeois, son antonyme est militaire : quand il s'agit du goût bourgeois, son opposé sera raffiné, artistique ; le contraire d'un esprit bour-geois sera noble.

 

Les morphèmes antonymiques. Généralement les antonymes ont des racines différentes. Mais il y en a qui sont formés à l'aide de préfixes et de suffixes qui communiquent au mot dérivé un sens contraire à celui de la racine. Ce sont, par exemple, les préfixes dé- (et ses variantes : dés-, dis-) ; in- (et ses variantes : im-, ir-, il-) et autres :

tolérable — intolérable raisonnable - irrésonnable

prudent — imprudent plaisir — déplaisir

réel — irréel accord — désaccord

limité — illimité, etc.

Comme règle, la dérivation formative ne change rien à l'antonymie des racines :

beau — beauté - embellir / laid— laideur- - enlaidir

entrer—entrée / sortir— sortie

Toutefois il arrive que la dérivation détruise l'antonymie : droit et gauche sont des antonymes, alors que droiture et gaucherie ne le sont pas ; haut et bas sont en rapports antonymiques, mais les substantifs dérivés hauteur et bassesse ne le sont pas. Dans ces cas les substantifs antonymiques sont fournis par le passage d'un mot d'une catégorie lexico-grammaticale dans une autre : le haut et le bas, la droite et la gauche.