Les emprunts faits par le francais aux autres langues. Leur role dans la langue francais

Les emprunts aux langues classiques. Le latin, langue-mère des langues romanes, a profondément marqué la langue française. L'enrichissement du vocabulaire français par des vocables et des éléments latins date de la période de la formation de la langue française comme telle et se poursuit jusqu'à nos jours.

On peut dire que le latin a servi de tout temps au français de source inépuisable d'enrichissement. Quant à l'influence du grec ancien, tout en étant assez considérable à partir du XIVe siècle, elle n'est guère aussi illimitée que celle du latin.

C'est surtout au XVIe siècle, à l'époque de la Renaissance de la culture et de l'art antique, que l'influence latine et grecque s'est fait sentir. On trouve une quantité de mots latins et grecs dans les œuvres de Rabelais, de Montaigne et d'autres écrivains de ce temps qui. conformément aux tendances dirigeantes du siècle exprimées dans la théorie de Du Bellay, usaient de tous les moyens et sources possibles pour combler les lacunes dans le vocabulaire de la langue maternelle.

C'est surtout pour remédier au manque de ternies abstraits qu'on a eu recours à l'emprunt aux langues mortes. Ce sont des mots tels que : évolution, concours, éducation, structure, social, énumération, explica-tion, exister, assimiler hésiter (au latin) ; académie, épigramme, hypothèse, sympathie, périphrase, anarchie, économie, politique, aristocratie (au grec).

À coté des emprunts de vocables entiers il faut mentionner un grand nombre d'emprunts d'éléments de mots, de bases formatives etd'affixes. Certains d'entre eux continuent jusqu'à nos jours à servir de moyens fé-conds de création de mots nouveaux. Signalons les affixes productifs empruntés : -ation < lat. -ationem, -ement < lat. -amentum, -ité < lat -itatem, -ible < lat. -ibilis, -ique < lat. -ïciis. -ïca confondu avec le grec -icos ; -al < lat. -alis ; -isme < lat. -ismus >, amen - « ainsi soit-il ». cabale < quabbalah. proprement « tradition », chérubin < keroftbîm. plur. de keroûb - « sorte d'ange », sabbat < schahbat, proprement « repos ». satan < satan - « adversaire ». ensuite nom de l'esprit du mal dans la Bible, séraphin < seraphîm - « sorte d'ange ». Ces mots ont été transmis en français par le latin ecclésiastique.

Le français a aussi adopté quelques mots persans dont la plupart lui sont venus par l'intermédiaire d'autres langues dont l'espagnol, l'italien, l'arabe. Certains d'entre eux qui reflétaient d'abord des phénomènes indigènes ont reçu par la suite un emploi étendu ; tels sont bazar < bazar, caravane < karwan. échec < shah - « roi ». taffetas < tafia, proprement « tressé, tissé », derviche < dervich - « pauvre ».

Il faut accorder une place à part à l'arabe dont l'influence remonte encore au Moyen Âge. surtout à l'époque de l'épanouissement de la culture, de la science, de la philosophie arabes lors de la domination des islamistes dans le bassin méditerranéen et leur séjour en Espagne

Le français doit à l'arabe des termes médico-pharmaceutiques : alcool < al-kohl. élixir < al-iksîr - « pierre philosophale ». sirop < charâb. proprement « boisson » : des ternies de mathématiques : zéro < sifr (qui donne chiffre et zéro par deux transcriptions différentes), algèbre < ald-jabr : des tenues astronomiques . zénith Was ist das ?, nom plaisant de cette ouverture par laquelle on peut s'adresser à quelqu'un.

Les emprunts tels que Reichstag, Wehrmacht, Gestapo, Diktat, An-schluss, Gauleiter, Landtag, Stalag, Bunker, ayant trait aux événements politiques de la dernière guerre mondiale et de l'occupation nazzie. conservent leur aspect étranger et le caractère spécifiquement allemand des notions exprimées.

Ajoutons les acquisitions plus récentes : colorature, handball, stru-del, schlass - qui en allemand signifie « très fatigué » et en français « ivre, soûl ».

L'influence anglaise se manifeste nettement à partir du XVIIe siècle.

Mais c'est au cours du XVIIIe et XIXe siècles qu'un nombre considérable de mots anglais pénètre dans le vocabulaire français. Ce fait s'explique par l'intérêt croissant des Français pour le régime parlementaire établi en Angleterre à la suite de la révolution de 1649 ; c'était aussi le résultat de l'influence de la philosophie et de la littérature anglaises.

L'anglaisa enrichi le français en termes politiques ; parmi les termes ayant trait au système parlementaire et à la vie politique et publique citons : vote, budget (ancien emprunt à la vieille langue française), club, bill, comité < committee, corporation, jury, opposition (dans son sens politique), ordre du jour (d'après order ofthe day). parlement (dans son sens moderne) < partiament, session. Plus récents sont les emprunts : boycotter < to boycott, interview, leader, meeting, lock-mit, blackbouler, reporter, speaker, trade-union, hold-up.

Les termes anglais pénétraient dans le vocabulaire du français durant tout le XIXesiècle par suite de l'essor de l'industrie en Angleterre et des relations commerciales animées avec la France.

On constate un afflux de termes techniques et industriels : rail, tender, tramway, tunnel, express, cargo, travelling, coaltar, pipe-line, cameraman, parking, jersey, cheviot(e) < cheviot, shampooing.

Ce mouvement est loin de s'affaiblir, ce qui peut être illustré par les emprunts récents transistor, jet [dget], télétex, scanner, supertanker, tuner, spoule, know-how.

Les jeux sportifs anglais se sont répandus aussi bien en France que dans d'autres pays et : l'emprunt de tel ou tel sport a amené l'emprunt des termes correspondants : tels sont : sport, sportsman, sportswoman, tou-risme < tourism, touriste < tourist, boxe < box, boxer < to box, derby, football, basket-bail, handicap, golf, tennis, match, record, skating, wa-ter-polo, badminton, crawl, roller < ro/lerskater « patineur », supporter (m), partenaire < partner, jockey, starter.

L'intérêt excessif à tout ce qui vient de l'Angleterre est devenu depuis le XIXe siècle une vraie anglomanie pour certaines couches sociales ; c'est ce qui explique un grand nombre d'emprunts se rapportant à la vie journalière, par exemple : bar, bifteck < beefsteak, cocktail, grog, pudding, rosbif < roastbeef, sandwich, gin, tonic, cottage, square, stand, smoking, dandy, snob, festival, sketch, star, flirt, spleen, poster (une lettre) < topost, dancing, music-hall, clown, toast, snow-boot, short, pull-over, sweater, standing, shopping, scotch, self-service, tag, cool.

Le français compte un nombre considérable d'américanismes qui y pénètrent à partir du XIXe siècle. À l'heure actuelle le prestige de l'Amérique en raison de son essor scientifique et technologique contribue à l'afflux de termes venus d'outre-Atlantique. Ce sont, entre autres : celluloïd, cow-boy, rancho. lunch, bluff, blizzard, gangster, kidnapper, hit-parade, blue-jean, bermuda, sporfwear. hot-dog, surf, squatter, yankee, teenager, tee-shirt, fast-food, pop-corn, électrocuter, bulldozer, internet, big-bang.

 

§ 63. Les emprunts au russe. C'est au XVIIIe siècle qu'on compte dans le vocabulaire français les premiers emprunts faits au russe. Ces mots étaient alors peu nombreux et ils appartenaient à des domaines différents de l'activité humaine. Ces premiers emprunts au russe ne sont encore pour la plupart que des mots exotiques dans le vocabulaire français. Ce sont des mots tels que : archine, artel, boyard, balalaïka, cosaque, datcha, dvo-rnyk, hetman. izba, kacha, knout, kopeck, koulak, mammouth, mazout, moujik, rouble, samovar, steppe, taïga, tchernoziom, téléga, touloupe, toundra, troïka, ukase, verste. vodka, zakouski, intelligentsia.

Ces mots avaient pénétré en France par l'intermédiaire de la littérature russe traduite en français et ils désignaient pour la plupart des phénomènes ayant exclusivement traiï à la vie de la Russie.

La pénétration des mots russes de l'époque soviétique porte un caractère tout différent. Les emprunts faits au russe après la Révolution d'Octobre sont surtout des termes à valeur sociale et politique, ainsi que des termes économiques.

Ce sont des mots qui ont été adoptés intégralement, par exemple : kolkhoze, sovkhoze, komsomol, bolchevik, Soviet : mentionnons encore, d'une part, samizdat qui reflétait les aspirations des démocrates à la liberté de la parole et. d'autre part, le spoutnik qui a fait sensation dans le monde entier.

Parfois ce sont des bases normatives russes auxquelles se sont ajoutés des affïxes internationaux ou français : léniniste, léninisme, kolkhozien, sovkhozien, stakhanovisme, stakhanoviste.

Cela peuvent être aussi des mots qui ont été déjà formés en russe avec des morphèmes ou éléments internationaux : collectiviser, collecti-visation, tractoriste, agit-prop « agitation et propagande »

Une partie des emprunts russes reflétant l'époque soviétique sont devenus des historismes.

Un cas curieux est présenté par le mot lunik qui a été formé en français par l'adjonction à lune de l'élément -ik extrait du mot spoutnik. Ainsi -ik fait figure de suffixe exotique en français.

Les emprunts au russe représentent souvent des calques qui reproduisent la « forme interne » et le sens du vocable étranger par les moyens linguistiques de la langue emprunteuse comme dans : autocritique, plan quinquennal, journal mural, maison de repos, jardin d'enfants, sans-parti, minimum technique, agroville (=agrograd). Citons encore refusnik- sorte de calque-centaure à base française flanquée d'un suffixe russe.

Parmi les mots les plus récents nommons kalachnikov et tokamak (terme de physique), sans oublier les fameux glasnost, perestroïka. Signalons que certains emprunts au russe ont pris une connotation nettement défavorable (cf. : apparatchik, goulag).

 

§ 64. Les emprunts aux langues des minorités nationales. L'apport fait au vocabulaire du français par les langues des minorités nationales habitant le territoire de la France est moins considérable. Signalons toutefois les emprunts faits au breton qui sont les plus nombreux : goéland < bas breton gwalan - « grande mouette », bijou < bizou - « anneau pour le doigt (biz) » qui a supplanté en partie joyau, biniou — « sorte de cornemuse bretonne », dolmen fabriqué avec deux mots bretons taol -« table » et men - « pierre » et désignant un monument mégalithique; formé d'une grande pierre plate posée sur d'autres pierres verticales, menhir de men - « pierre » et hir - « long » qui est un autre mégalithe.

 

 

Le rôle des emprunts dans l'enrichissement du vocabulaire. L'emprunt aux autres langues est un processus naturel et régulier qui découle de l'établissement de contacts toujours plus étroits entre les peuples. En principe, les emprunts enrichissent la langue qui les accueille.

En conclusion on peut affirmer que l'utilisation dans une mesure raisonnable des mots d'emprunt, sans encombrer et affaiblir la langue, contribue à son enrichissement et sa consolidation.

L'expérience historique démontre qu'à quelques exceptions près la langue conserve en fin de compte ceux des mots d'emprunt qui lui sont utiles, qui n'ont pas d'équivalents autochtones suffisamment précis et expressifs.