Les origines de l'homonymie

. L'origine de l'homonymie. L'apparition des homonymes dans une langue est avant tout le résultat de différents phénomènes linguistiques qui s'opèrent dans la langue au cours de son développement. On pourrait indiquer quatre sources principales des homonymes en français :

1. L'homonymie peut être une conséquence du développement phonétique des mots qui primitivement avaient une forme différente. Dans un grand nombre de cas c'est précisément ce processus qui a donné naissance à des homonymes : pain (m) < lat. panis -pin (m) < lat. pinus -peint < lat. pi(n)ctum ; foi (f) < lat.fîdes - fois (f) < lat. vices -foie (m) < lat. ficatum ; pore (m) < lat. porus - porc (m) < lat. porcus -port (m) < lat. portus.

2. L'emprunt occupe aussi une certaine place dans la formation des homonymes. Il arrive qu'un mot emprunté à une langue étrangère ait la même forme phonique qu'un mot déjà existant dans la langue. Il est à noter que les mots étrangers, surtout empruntés à une langue de la même famille, s'adaptent assez facilement à la prononciation de la langue qui les emprunte.

 

À l'homonyme français blouse (f) — «блуза», s'est joint un homonyme emprunté à l’anglo-américain blues (m) («блюз» - медленный танец) désignant une forme musicale créée par les Noirs des États-Unis d'Amérique.

3. La dérivation est une autre source bien féconde de l'homonymie en français. Des exemples de nature diverse le confirment.

Parfois, le même suffixe s'unissant à des bases homonymes crée des homonymes de dérivation : le mot boursier (m) - «биржевик» est formé du mot bourse (f) - 1) «биржа» à l'aide du suffixe -ier (le même que dans les mots fermier, cordonnier, routier, etc.) : son homonyme boursier (m) - «стипендиат» est formé du mot bourse (f) - 2) «стипендия» à l'aide du même suffixe.

Il y a des cas où l'homonymie lexicale est une conséquence de l'adjonction au même radical de morphèmes-homonymes : le verbe boucher (vt) est constitué du radical bouche- et de la terminaison de l'infinitif du premier groupe -er : le substantif bouchée (f) est formé de la même base et du suffixe -ée (cf. : poignée, cuillerée, assiettée, etc.) : les deux morphèmes -er et -ée sont homonymes.

Un grand nombre d'homonymes est le résultat de la dérivation impropre.

Rappelons que la dérivation impropre est un type de création lexicale par la transposition d'un mot d'une partie du discours dans une autre ainsi, le mot coupe (f) (du verbe couper) est un homonyme du substantif coupe (f) - «чаша» ; lutte (f) (du verbe lutter) devient un homonyme de luth (m) - «лютня». Ajoutons encore les cas tels que lever (v) et le lever (du soleil) qui sont nombreux.

 

 

4. Il existe une source importante d'homonymie qui est due uniquement à un écart sémantique qui se produit dans un mot polysémique à l'origine. On assiste alors à l'apparition de mots différents à la suite de la rupture des liens sémantiques qui unissaient les sens du mot polysémique.

En effet, il arrive parfois qu'au cours du développement de la langue deux significations du même mot s'éloignent l'une de l'autre à tel point qu'on cesse d'en percevoir le lien primitif ; au lieu d'un mot à plusieurs sens on commence à voir deux mots différents, deux homonymes. Dans ces cas l'homonymie peut être considérée comme le dernier degré de la polysémie. La recherche des critères qui permettent la délimitation de la polysémie et de 1’homonymie est un des problèmes importants qui intéresse particulièrement la lexicographie.

 

Il y a des homonymes dans lesquels la différence de genre a surgi comme moyen de distinguer deux homonymes sémantiques ; ainsi, le mot mode fut jusqu'au XVIe siècle du genre féminin dans toutes ses accep-tions. Le masculin ne s'est introduit qu'au XVIIIe siècle pour des sens spéciaux (comme termes de musique, de grammaire), ce qui a amené une séparation formelle de deux homonymes : mode (f) et mode (m).

Dans le français d'aujourd'hui il y a deux mots-homonymes : mémoire (f) - «память» et mémoire (m) - «докладная записка; диплом», mais encore au XIVe siècle c'étaient deux acceptions d'un seul mot du genre féminin ; la différence de genre s'est introduite assez tôt, au XVe siècle, pour distinguer la différence sémantique de ces deux acceptions, et de ce fait a apparu mémoire (m), l'homonyme de mémoire (f).

En conclusion, on pourrait citer les paroles d'A. Meillet : « Les faits historiques sont par nature singuliers ; ils résultent de concours de circonstances qui ne se reproduisent pas deux fois d'une manière identique et dont, par suite, on ne peut faire état que si des témoignages les font connaître ».