Les types différentes de l'évolution sémantique: la restiction et l'extantion du sens

La signification étant un phénomène socio-linguistique et logico-psychologique. le procès sémantique doit être examiné sous ces deux aspects.

Envisagée sous l'aspect socio-linguistique, l'évolution sémantique est la promotion d'une acception individuelle au niveau de la langue. Toute modulation sémantique se manifeste par l'extension des possibilités combinatoires des mots dans la parole individuelle. Pour s'incorporer à la structure sémantique du mot l'innovation sémantique doit devenir un fait de langue, autrement dit. s'imposer à la communauté linguistique.

Du point de vue logico-psychologique l'évolution sémantique présente quelques types différents. Ce sont la restriction et l'extension du sens, la métonymie, la métaphore, le glissement de sens qui sont les procès sémantiques fondamentaux éventuellement accompagnés de modifications affectives amenant à l'amélioration ou la péjoration, à l'affaiblissement ou l'intensification du sens des mots.

 

La restriction, l'extension et le déplacement du sens. Nous assistons à la restriction ou à l'extension du sens d'un mot lorsqu'il y a respectivement spécialisation ou généralisation de la notion exprimée.

En faisant appel aux composants sémantiques on pourrait représenter la restriction de sens par la figure suivante : A -> A b ou A est la notion de genre, b - l'indice notionnel différentiel, la flèche symbolisant le transfert sémantique. Concrétisons ce modèle par l'exemple du verbe | pondre qui à partir du sens primitif de « déposer » (A) a reçu le sens de « déposer (A) des œufs (b) » en parlant des oiseaux et des reptiles.

Signalons d'autres cas de restriction du sens. Cueillir (du lat. : colli-: gère) signifiait au Moyen Âge « ramasser, rassembler » ; on pouvait cueillir Ides branches, des pierres, etc. : le sens étymologique de ce verbe s'est ; conservé dans quelques expressions techniques : le maçon cueille le plâtre avec sa truelle, le verrier cueille le verre fondu au bout de sa canne à souffler, mais dans le langage usuel d'aujourd'hui ce verbe ne signifie que « séparer une fleur de sa tige, un fruit de 1"« arbre qui l'a produit » : de là au figuré « cueillir des lauriers ».

Avaler (de à et val) dont le premier sens était très étendu - « descendre, faire descendre, abaisser » ne signifie aujourd'hui que « faire descen-iëre dans le gosier » ; le sens étymologique apparaît encore dans l'expression en aval de (Rouen est en aval de Paris).

Traire avait autrefois le même sens que le verbe tirer aujourd'hui : ion disait traire l'épée du fourreau, traire les cheveux, traire l'aiguille, etc. ; à présent on n'emploie ce verbe que dans le sens très spécial de :« tirer le lait des mamelles de ... » (traire les vaches, les chèvres, etc.).

Labourer signifiait primitivement « travailler » en général ; on labourait non seulement la terre, mais également le bois, les métaux ou autre matière ; plus tard le sens de ce verbe s'est restreint, il n'a signifié que « travailler la terre ».

Sevrer qui voulait dire autrefois « séparer » ne signifie plus que « séparer l'enfant de sa nourrice, cesser l'alaitement ». d'où au figuré «priver ».

Finance avait jadis le sens de « ressources pécuniaires dont qn dispose » et aujourd'hui, au pluriel - « ressources pécuniaires d'un Etat ».

Le sens étymologique de gorge est « un gouffre, une ouverture béante » qui s'est conservé dans l'acception « une gorge de montagne » : le sens moderne le plus usuel, homonyme du précédent, est « la partie antérieure du cou. le gosier ».

Viande (du lat. vivere - « vivre ») signifiait encore au XVIIe siècle « n'importe quelle nourriture » ; plus tard le sens de ce mot s'est restreint et il ne désigne aujourd'hui que l'aliment par excellence - « la chair des animaux de boucherie ».

Linceul s'employait dans le sens général de « linge, drap de lin ». aujourd'hui ce mot ne se dit plus que du drap mortuaire.

Poison ou « substance qui détruit les fonctions vitales » avait autrefois le sens général de « breuvage ».

Jument avait désigné « n'importe quelle bête de somme » et à pré-j sent « femelle du cheval ».

Il était un temps où l'on reliait non seulement des livres, mais ausshj bien des hottes de foin, des tonneaux, etc.

Ces exemples démontrent que 1 a restriction du sens estunl conséquence de la réduction de la fonction nominative du mot qui l'expression d'une notion de genre passe àl'expression d'une notion d'es pèce.

L'extension du sens présente un mouvement contraire dû Jl ce que le mot reçoit une plus grande liberté quant à sa fonction nominati| ve : on assiste à la transformation d'une notion d'espèce en une notion < genre.

La figure représentant le processus d'extension de sens sera Ab  A:

Gain désignait autrefois la récolte, puis le produit obtenu par ton espèce de travail.

Arriver < lat. arripare a signifié d'abord « atteindre la rive », suite - « parvenir dans n'importe quel lieu ».

Panier était « une corbeille pour le pain » et aujourd'hui « une < beille » pour toute sorte de provisions.

Fruit signifiait « résultat d'un travail » (en latin), puis « produit de la floraison », et de nouveau - « résultat d'un travail ».

Gamin - synonyme de « garçon » était un mot dialectal de l'Est qui désignait « un jeune aide d'artisan ».

Effacer de « faire disparaître une figure » en est venu à signifier « faire disparaître sans laisser de trace ».

Egérie qui était à l'origine le nom d'une nymphe qui aurait été la conseillère de Numa Pompilius. deuxième roi légendaire de Rome, a pris le sens de « conseillère, inspiratrice ».

Dame est passé du sens de « femme de haute naissance » au sens de « femme » tout court.

Exode originairement « émigration des Hébreux hors d'Egypte » s'est élargi jusqu'à désigner toute émigration de masse

Charabia qui était appliqué au français des Auvergnats à cause de j leur prononciation du [s] comme [f] s'emploie aujourd'hui pour « langage, style incompréhensible ou incorrect ».

La restriction et l'extension du sens sont le plus souvent le résultat |du changement de l'aire d'emploi d'un mot qui passe d'une sphère de l'activité humaine dans une autre. Généralement ces procès sémantiques l'amènent guère à la polysémie. Toutefois des cas se présentent où le lême mot a un sens plus général dans la langue commune et un sens sstreint dans le cadre d'une terminologie spéciale ou d'un jargon.

Le déplacement de sens se fait aussi dans le cadre de la même lotion de genre, seulement dans ce cas il y a transfert d'une notion d'espece à une autre notion d'espèce. Ce processus correspond à la figure AbAc . Ainsi chaîne dont la notion générique de « suc-sssion d'anneaux de métal entrelacés » est concrétisée dans les sens de tlien » (tenir un chien à la chaîne), d'« attache ornementale » (chaîne A-, chaîne d'argent), de « suite d'éléments métalliques servant à trans-

; un mouvement utilisés en mécanique » (chaîne de bicyclette). Classeur dont la notion générique est « objet qui pennet de classer » ait les sens concrets de « meuble de bureau » servant au rangement. Jreliure à feuilles mobiles ». « casier, boîte (pour diapositives) ». Signais encore le mot chambre qui ne désigne point n'importe quelle pièce lis des pièces particulières : « pièce où l'on couche ». « compartiment srd d'un navire ». Comme le prouve ces exemples le déplacement de : peut créer la polysémie.

Des cas fréquents se présentent lorsque le processus de déplacement jutit pas à la création de sens nouveaux, mais à l'apparition de divers emplois sémantiques dans le cadre de la même notion. Tel est le cas de code qui se laisse définir comme « système de symboles destiné à représenter et à transmettre une information » et qui peut être, entre autres, un code bancaire, un code d'accès à un immeuble, un code postal.